[Conseil municipal du 9 octobre 2017]
L’évaluation de la vidéosurveillance présentée en conseil municipal pointe du doigt l’utilité toute relative des caméras. La vidéosurveillance est une réponse inadaptée aux problématiques de tranquillité publique, qui requièrent plutôt une présence humaine, éducative et préventive. Nous avons exprimé notre opposition à toute nouvelle installation.
Conseillère municipale Co-présidente du groupe écologiste
Téléchargez ici la synthèse de l’évaluation de la vidéosurveillance
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Intervention de Gaëlle ROUGIER au nom des élu-e-s écologistes
La semaine dernière, madame la Maire vous détailliez lors d’une conférence de presse le dispositif de police et de vidéosurveillance renforcé qui va se mettre en œuvre à Rennes. Nous adhérons pleinement aux propositions de renforcement des équipes de policiers municipaux dans une optique de service de proximité et de tranquillité publique. Nous voulons également saluer l’étude d’évaluation qui a été réalisée par un cabinet extérieur, conformément aux engagements que nous avions pris ensemble en 2014. Cependant, nous n’avons jamais caché notre méfiance, pour ne pas dire notre hostilité à l’installation de caméras de vidéosurveillance. Tout d’abord parce que c’est une question de choix de société, de savoir quels types de relations sociales on induit par ces dispositifs de surveillance de l’espace privé et public. Des relations de méfiance, de contrôle social mais aussi de ghettoïsation des espaces vécus. On sait que des villes utilisent la vidéosurveillance comme un moyen de chasser les populations jugées indésirables dans l’espace public, comme les pauvres, les SDF, les jeunes même parfois. On se souvient du dispositif Mosquitos qui avait fait grand bruit outre manche et qui visait à empêcher les regroupements de jeunes adolescents. Dans une volonté de gentrification de centre-ville notamment, certains réclament à cor et à cri un dispositif massif de caméras. Bien heureusement, ceci n’est pas et n’a jamais été la volonté de notre municipalité. Quant à celles et ceux qui considèrent, à juste titre, qu’une trentaine de caméras municipales ne constitue pas une surveillance généralisée de la population rennaise, nous voudrions rappeler que ce dispositif municipal n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de caméras existantes dans notre ville. Il est difficile d’obtenir des chiffres exacts, mais rien que sur le réseau bus et métro on compte plus de 1000 caméras, une dizaine par station, en plus des caméras embarquées dans les rames. Et quid des banques, des commerces, des entreprises privées, de la SNCF qui ont partout leur propre pool de caméras ? En France, on considère qu’il y a à peu près 1 caméra pour 60 personnes, soit plus d’un million de caméras déclarées, avec des dizaines de milliers d’images peu ou pas sécurisées, de salle d’attente, de laveries automatiques, de jardins publics, qui se retrouvent sur le net. Il ne s’agit pas de verser dans la théorie de la surveillance généralisée de la population. Ce fantasme est invalidé par les études de terrain qui montrent qu’entre les dégradations, les pannes et la mauvaise qualité des images, les caméras sont loin de filmer l’espace privé ou public en continu. Sans parler du fait que ces images finissent pour la plupart dans l’oubli ou sont détruites car il n’y a en réalité bien souvent personne derrière les écrans pour les visionner.
Tout d’abord il nous faut affirmer que de tels dispositifs ne peuvent être qu’un élément parmi d’autres d’une politique de sécurisation de l’espace public. Il y a eu une période récente, notamment sous le président Sarkozy, où après la vidéosurveillance privée, la « vidéoprotection » publique a été présentée comme le « must » pour lutter contre la délinquance, une période où ce nouveau « business » a été florissant aussi auprès des collectivités. Entre 2006 et 2014, le nombre de villes équipées aurait ainsi quadruplé. De cette période un peu folle, beaucoup reviennent à une approche plus lucide car maintenant plus au fait des limites de la vidéosurveillance. Dans son introduction, le rapport de l’étude externe réalisée par Eric Heilmann pour le compte de la Ville note que les effets de la vidéosurveillance sur l’élucidation des enquêtes et sur la prévention des actes de délinquance sont peu documentés à ce jour en France, notamment au regard des investissements importants consentis par les collectivités ces dernières années. L’évaluation réalisée en interne par la Ville de Rennes entre 2010 et 2014 était donc une première initiative tendant à documenter et donc à objectiver l’intérêt du dispositif. L’approche ethnographique de l’étude externe qui a suivi a utilement complété ce travail. Cette étude portait sur les trois objectifs attribués à la vidéoprotection par notre Ville : l’élucidation des enquêtes judiciaires, la prévention des actes de délinquance et la lutte contre le sentiment d’insécurité.
À Rennes comme ailleurs, le recours par l’institution judiciaire aux images de vidéosurveillance est très faible : 0,10 % des faits de délinquance. Ce ratio augmente à 0,45 % des affaires traitées en centre-ville. À Rennes comme ailleurs, l’exploitation des images pour identifier des suspects est rendue difficile par la présence de végétation, panneaux publicitaires, mobilier urbain ou encore de certains éclairages sur l’espace public la nuit. Et même quand l’image est correcte, le dispositif trouve ses limites tout simplement dans la capacité physique des agents à regarder un grand nombre d’images sur plusieurs écrans en même temps. C’est dire la faible utilité des caméras sur ce volet. Le rapport explique le décalage entre l’utilité réelle du dispositif et l’idée que peuvent s’en faire les habitants. Je cite : « force est de constater que l’usage réel du dispositif tranche avec son usage supposé et les représentations que la population a de l’utilité des caméras pour résoudre des affaires judiciaires. Interrogés lors d’une enquête d’opinion réalisée en 2013 dans la zone du Colombier, 57 % des habitants répondent que l’outil est « sûrement » ou « très sûrement » utile à leur résolution. Les commerçants interrogés en sont encore plus convaincus (78%). » Concernant la prévention de la délinquance, là encore peu de données scientifiques fiables sont mobilisables. Tous les acteurs rennais de la prévention interrogés dans le cadre de l’étude s’accordent à dire que la plupart des auteurs de délits sont des personnes sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants et que les caméras n’ont aucun effet sur eux. Les violences physiques quant à elles sont liées à des pulsions sur lesquelles là encore elles jouent peu. Quant au trafic, tout comme une patrouille de police peut le faire, les caméras déplacent dans l’espace ou dans le temps le phénomène, sans le résoudre pour autant. Là où les caméras peuvent avoir un effet dissuasif, ce sont les espaces fermés comme les parkings, mais sûrement pas les espaces publiques ouverts. Le rapport note qu’il s’agit à Rennes de faits pour la plupart commis sous l’emprise de l’alcool qui nécessitent plus une prévention situationnelle et sociale. « À Rennes, prétendre traiter ces faits avec des caméras relève de l’incantation ».
Les caméras piétonnes portatives sur les agents, la brigade canine, le pool de caméras mobiles également, mais également le renforcement des effectifs sur le terrain, sont déjà des réponses à cette demande légitime des agents. Il nous semblerait intéressant d’affiner cette dimension de sécurisation de l’intervention de la police municipale afin de répondre à cet enjeu, qui relève de notre responsabilité directe d’employeur. Quant au sentiment d’insécurité, il est normal d’y répondre. Il est la conséquence de faits de délinquance constatés, d’occupation de l’espace public par le deal parfois, ou par des personnes en état d’ébriété, d’incivilité. Mais une fois posé le fait que concrètement, dans les faits, la vidéosurveillance n’apporte rien, comment alors répondre à la demande des habitants d’avoir une ville qu’ils jugent sûre et apaisée ? Il suffit d’écouter les habitants. Dans les réunions de quartier, ce qu’ils demandent avant tout, c’est une présence humaine. Une police municipale de proximité et une police nationale qui intervienne efficacement et en complémentarité. Soyons clairs sur ce point, la mairie, par le biais de sa police municipale, doit avoir une approche de service de proximité. La police municipale n’est pas le supplétif de la police nationale.
En 2015, le panorama de la police municipale des villes de France de 2015 indiquait que les dépenses liées à l’installation, à l’entretien et au suivi de la vidéo-protection occupent une part de plus en plus importante des budgets sécurité et prévention de la délinquance au fil des année, avec une moyenne annuelle des investissements liés à la vidéoprotection de l’ordre de 300 000 euros. On peut donc légitimement s’interroger sur une tendance lourde des politiques municipales qui privilégient la vidéoprotection au détriment d’une présence humaine renforcée sur le terrain.
La tranquillité publique nécessite une vision globale des phénomènes sociaux et une approche, comme le pointe Eric Heilmann, qui ressort plus de l’action sociale et de prévention sur l’espace public. C’est tout l’objet de notre Charte de la vie nocturne, avec la prévention des risques et des addictions en milieu festif ou sur l’espace public, ainsi que le renforcement de la présence de médiateurs et d’éducateurs.
Une présence humaine policière mais aussi de prévention et d’éducation sur l’espace public, voilà par contre ce à quoi nous croyons profondément. Ce que recommande d’ailleurs le rapport d’évaluation à la Ville de Rennes : concentrer les ressources humaines et techniques à l’exécution des missions qui sont les siennes. Enfin, c’est aussi un élément que nous devons débattre ensemble avec les habitants. Dans le cadre de notre politique de Fabrique citoyenne nous souhaiterions que les conclusions de l’étude d’Eric Heilmann puissent être rendues publiques et être la base d’un débat citoyen autour de ces questions, comme d’ailleurs la conclusion de son rapport nous y encourageait. |