Le bel été indien que nous vivons en ce mois de septembre ne doit pas nous faire oublier l’été caniculaire que nous avons vécu. Je vous épargnerai le fastidieux égrainage des records que nous avons battus ces derniers mois. Nous devons avoir conscience que les effets du dérèglement climatique sont à l’œuvre dès à présent et qu’ils n’épargnent pas la Bretagne.
Si le diagnostic est désormais à peu près consensuel, les solutions concrètes et pertinentes à mettre en place d’urgence le sont moins. Certain·e·s ont cru bon de suggérer que les équipes de foot devraient désormais se déplacer en char à voile (ce qui, pour un derby breton comme Rennes-Lorient, pourrait d’ailleurs s’avérer efficace). D’autres qu’il fallait interdire les jets privés et leurs émissions dix fois plus élevées qu’un avion de ligne classique. Derrière ces débats médiatiques se cache une réelle problématique : comment accomplir une transformation écologique socialement juste ?
Nous ne sommes pas tous égaux en matière d’émissions de CO2. En France, les 50% les plus pauvres émettent autour de 5 à 6 tonnes de CO2 par an, quand les 10% les plus riches sont autour de 20 à 25 tonnes, cinq fois plus.
Donc oui, tout le monde doit faire des efforts, mais certain·e·s devront contribuer plus que d’autres. Parce qu’ils en ont les moyens, et parce que leur mode de vie est plus émissif. À l’inverse, difficile de décréter la fin de l’abondance pour celles et ceux qui ne l’ont jamais connue, comme les 12 millions de Français·es, presque 1 sur 5 donc, vivant dans une passoire énergétique. Pour ceux-là, la sobriété n’est pas un choix, mais un impératif financier, comme nous le rappelle l’étude de l’Observatoire National de la Précarité Énergétique publiée en 2018 : “ la culture de la sobriété de ces ménages s’est plutôt construite dans l’expérience de la privation”. Par ailleurs, la libéralisation du marché de l’énergie soutenue par plusieurs gouvernements successifs a accentué cette précarité énergétique, créant de nouvelles inégalités sociales et environnementales. Et ce qui vaut pour l’habitat vaut aussi pour les mobilités. La dernière enquête Ménages Déplacements nous montre qu’à Rennes, dans les quartiers politiques de la ville, 48% des habitant·e·s n’ont pas de voiture. C’est un fait, les précaires et les ménages modestes polluent moins, tout simplement parce qu’ils n’en ont pas les moyens. Il ne s’agit pas de monter une partie de la population contre une autre, mais simplement d’admettre l’idée d’une responsabilité différenciée, et donc d’un effort différencié à fournir.
Alors, loin des mesurettes ou des bad buzz, nous devons mettre en place des mesures structurelles. À court terme pour faire face à la pénurie hivernale qui s’annonce, et à court et moyen terme pour adopter un mode de vie plus sobre, compatible avec les limites planétaires, socialement équitable.
Premier levier : les mobilités responsables de 27% de nos émissions de GES, et de 34% en comptant le transport de marchandises. Notre seconde ligne de métro demain appuyée sur un réseau de bus redéployé dès le 24/10 doit permettre à terme d’éviter 50 000 trajets automobiles par jour. Nous entamerons ensuite, le dialogue citoyen sur les futures lignes de trambus, qui devront desservir efficacement les habitant·e·s de la première et seconde couronne de Rennes. Et nous continuerons évidemment de déployer le Réseau Express Vélo et d’améliorer la marchabilité de la ville. Autant d’alternatives à la voiture qui vont soulager les budgets des ménages. Mais pour atteindre les objectifs de décarbonation des mobilités, nous aurons aussi besoin de décisions nationales fortes en matière d’aménagement du territoire et d’investissement dans le transport ferroviaire des personnes et des marchandises.
Second levier, j’en parlais à l’instant, la réhabilitation des logements. Là encore, échelle nationale et locale sont étroitement liées. Si Maprimerenov a connu un certain succès avec 644 000 logements rénovés en 2021, le rapport de la Cour des Comptes est clair : 86% de ces logements n’ont en fait bénéficié que d’une seule intervention d’efficacité énergétique, et non d’une rénovation globale, pourtant de loin la plus efficace pour réduire les consommations d’énergie. Pour amplifier la dynamique, il faut d’urgence accentuer l’effort sur les copropriétés, en rendant progressivement obligatoire d’ici 2030 la rénovation globale des bâtiments les plus énergivores (classés F et G), comme le proposait la Convention Citoyenne pour le Climat. Comme les Pays-Bas ou l’Allemagne, nous devons aussi simplifier les conditions d’accès aux diverses aides et les rendre plus incitatives. Notamment en permettant aux bénéficiaires de ne pas avancer les frais, et de ne pas laisser de reste à charge pour les ménages les plus modestes par un système de tiers investissement.
3e levier : relever le défi de maintenir des services publics locaux de qualité, tout en réduisant la facture énergétique des bâtiments publics. Cela passe notamment par des réhabilitations thermiques et le développement de sources d’énergie renouvelable locale. Si le fonds vert de 1,5 milliard d’euros à destination des collectivités annoncé par Élisabeth Borne est un premier pas, il demeure largement insuffisant au regard des défis et de nos besoins de financement. Par leurs compétences, les collectivités locales ont en charge une grande partie des mesures de transition écologique. Mais avec la suppression successive de leurs leviers d’action fiscaux, en ont-elles encore seulement les moyens ? En grandes difficultés financières à cause de l’explosion du coût de l’énergie et des matières premières, privées de marges de manœuvre budgétaires, certaines doivent commencer à envisager de réduire les horaires d’ouverture ou même à fermer certains équipements pourtant essentiels à la population… et affronter seules la responsabilité de ces décisions impopulaires.
En nous astreignant en quelques semaines à une sobriété drastique, la crise énergétique et l’inflation galopante nous permettent paradoxalement de mesurer l’ampleur de la tâche pour répondre à l’urgence climatique sans laisser personne de côté. Elle nous oblige à faire le tri entre ce qui est vraiment essentiel et ce qui l’est moins. Je pense par exemple aux décorations de Noël, dont la facture énergétique et financière pour la collectivité est considérable. Ne serait-ce pas le moment de réinterroger nos pratiques ? Par exemple, en réduisant leur périmètre d’installation et en favorisant des formes plus fédératives, comme les projections animées sur l’hôtel de Ville, qui rassemblent les gens ? Autre exemple : Y a-t-il vraiment un sens à l’ouverture estivale de la patinoire, particulièrement énergivore ? Ou encore les publicités lumineuses, qui envoient un signal d’abondance alors que dans le même temps nous demandons des efforts à toute la population. Bref, de nombreuses économies d’énergie sont encore possibles, et doivent s’inscrire dans la durée. Car le danger serait de considérer que l’impératif de sobriété énergétique est temporaire, que les coûts de l’énergie finiront bien par re-descendre, et que nous pourrons alors continuer comme avant. Nous devons au contraire voir dans l’épisode actuel une répétition générale de ce qui nous attend dans les prochains mois et prochaines années, si nous ne bifurquons pas rapidement.
À nous, décideurs politiques, de faire en sorte que cette sobriété soit organisée et non subie, soit désirée et non honnie. Pour cela, nous avons besoin de travailler avec les habitant·e·s sur l’acceptabilité sociale des différentes mesures que j’ai évoquées. C’est pourquoi nous plaidons pour une convention citoyenne métropolitaine pour le climat. Rendre nos modes de vie plus sobres, c’est l’occasion de bâtir un modèle plus juste, moins inégalitaire, qui nous recentre sur l’essentiel, et nous sort de notre exploitation effrénée des ressources naturelles. Ce n’est donc pas la promesse d’un avenir de privations, de tristesse, de frustrations. À nous de dresser un horizon qui soit au contraire bénéfique pour la population. Donnons-nous l’opportunité d’imaginer d’autres modèles de prospérité. Pour citer Paolo Lugari, fondateur de l’association Las Gaviotas qui a replanté toute une forêt tropicale sur une zone délaissée de Colombie et sorti des dizaines d’habitant·e·s de la pauvreté grâce à une action sociale forte, “la crise que nous traversons n’est pas celle de l’énergie, mais celle de l’imagination et de l’enthousiasme.”
– Seul le prononcé fait foi –