Mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer ici l’engagement de la Ville de Rennes en faveur des personnes en situation de handicap, pour une ville accessible et inclusive. Cet engagement date de plusieurs décennies et est évidemment voué à perdurer. Je salue aussi le travail constant qui est réalisé avec le mouvement associatif et citoyen du handicap.
Ce mouvement associatif et citoyen est justement engagé depuis quelques années dans un combat que je vous invite ce soir, mes chers collègues, à soutenir : celui en faveur de la déconjugalisation de l’AAH, l’Allocation aux Adultes Handicapés.
Cette allocation est financée par l’État et versée aux personnes dont le handicap ne leur permet pas d’avoir un revenu suffisant pour vivre dignement. Considérée comme minima social, cette allocation subit une des règles qui leur sont appliquées : si la personne est en couple, le calcul du montant de l’allocation ne se fait pas en fonction du seul revenu de la personne, mais de celui du couple.
Cette règle, de façon générale, a deux effets pernicieux. D’une part, elle peut inciter deux personnes en couple à ne pas vivre ensemble et à ne pas se déclarer en couple afin de ne pas subir une perte de revenus. D’autre part, elle crée une inégalité au sein du couple due à la dépendance financière de la personne sans revenus vis-à-vis de celle unique pourvoyeuse de revenu.
Ces deux effets déjà pénalisants quand cela concerne des personnes valides le sont encore plus lorsqu’il s’agit de personnes en situation de handicap.
En effet, alors que nous savons qu’avoir une vie affective est souvent compliqué pour une personne en situation de handicap, l’administration vient ajouter des freins supplémentaires et incite au contraire les personnes en situation de handicap à vivre seules. Cette règle s’oppose ainsi au principe d’inclusion auquel nous sommes pourtant attaché.e.s.
Le handicap a généralement pour effet d’entraîner une dépendance de la personne vis-à-vis de ses proches. Certes, notre société œuvre afin d’améliorer l’autonomie des personnes en situation de handicap par le financement d’aides humaines professionnalisées, par du matériel spécifique, par des animaux d’accompagnement… Malheureusement il faut bien reconnaître que cette dépendance vis-à-vis des membres de la famille persiste encore bien trop souvent. Alors que l’AAH est là précisément pour permettre l’autonomie financière des personnes en situation de handicap, cette règle de conjugalisation vient au contraire ajouter une dépendance financière à cette dépendance technique.
Ajoutons simplement que cette double dépendance peut parfois entraîner des problèmes de maltraitance, physique ou psychologique, qu’il nous faut combattre.
Dans ce combat, le monde associatif et militant a été rejoint par une partie du monde politique. Le 21 mars 2018, la députée communiste Marie-George Buffet déposait une proposition de loi qui fut rejetée par l’Assemblée Nationale, sous l’impulsion du Gouvernement. Le 13 janvier 2019, ce sont les députés du groupe Libertés et Territoires qui déposent une proposition de loi. Celle-ci réussit à être votée, et ce malgré l’avis du gouvernement. Une pétition est alors créée sur le site du Sénat, cette pétition recevra plus de 100.000 signatures. Le 03 mars 2021 la proposition de loi est adoptée par le Sénat, toujours contre l’avis du gouvernement.
À l’Assemblée Nationale la proposition de loi est de nouveau modifiée d’abord par la commission des affaires sociales qui remplace la déconjugalisation par une mesure technique qui, certes permet aux personnes dont le conjoint a un revenu modeste de conserver tout ou partie de leur AAH, mais dont la portée reste limitée et surtout qui ne modifie en rien la philosophie de base. S’ensuit en plénière le 17 juin un vote ubuesque où le gouvernement a usé de deux procédures peu démocratiques : la réserve de vote et surtout le vote bloqué pour faire passer en force le texte modifié. La volonté est clairement affichée de tout faire pour que la déconjugalisation ne soit pas adoptée. La conséquence de tout cela est bien évidemment que le texte devra de nouveau repasser devant le Sénat, repoussant d’autant plus une mesure tant attendue par les personnes concernées.
Les arguties juridiques et techniques avancées par le gouvernement et par la majorité présidentielle, quand elles ne sont pas ridicules, ne convainquent personne, et surtout ne tiennent pas compte de l’aspect humain de la question.
Je vous demande donc d’approuver ce vœu déposé par tous les groupes de notre majorité à savoir le Groupe écologiste et citoyen, le groupe Génération-s, le groupe mouvement radical (social-libéral), le groupe socialiste, démocrate et citoyen et le groupe Communiste, afin de demander au gouvernement d’écouter enfin les revendications des personnes en situation de handicap, du monde associatif et de la société en soutenant la déconjugalisation de l’AAH sans restrictions lors des prochains débats parlementaires sur le sujet.
Délibération n°70 : Administration générale – Vœu pour la déconjugalisation de l’Allocation aux Adultes Handicapés – Vœu proposé par le Groupe écologiste et citoyen, le Groupe Génération-s, le Groupe mouvement radical (social libéral), le Groupe socialiste, démocrate et citoyen et le Groupe Communiste
– Rappel :
*L’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH) existe depuis
1975 et permet d’assurer aux personnes handicapées un minimum de ressources pour pouvoir vivre dignement. Cette allocation, qui est la deuxième aide sociale de France, n’est cependant pas juste dans son mode de calcul.
*En prenant en compte les revenus des ménages plutôt que des personnes, ce mode de calcul précarise les personnes en situation de handicap. Il empêche la prise d’autonomie des personnes, génère une asymétrie dans le couple, maintient la dépendance au conjoint. Selon une étude parue en février 2021 par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques que 19 % des citoyens en situation de handicap vivent sous le seuil de pauvreté, contre 13 % de la population générale et que le chômage les frappe deux fois plus que les personnes valides.
*La déconjugalisation de l’AAH est donc un des combats à mener, pour permettre une meilleure autonomie financière et sociale des personnes des personnes handicapées. Plus globalement, l’individualisation des prestations sociales devraient être généralisée car il existe bien souvent des restrictions absurdes qui favorisent la grande pauvreté et le non-recours.
*Considérant la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui a établi que « toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnus de tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté »,
*Considérant la pétition sur l’individualisation de cette allocation a recueilli plus de 100 000 signatures sur le site du Sénat, la mobilisation associative et différents textes de lois qui ont été proposés par différents groupes de tout bord politique sur le sujet,
*Considérant que le choix du gouvernement d’utiliser la procédure du vote bloqué le 16 juin dernier n’a pas permis d’établir le nécessaire débat parlementaire sur ce sujet,
Objet : en conséquence, le Conseil municipal de Rennes :
– Exprime son soutien au mouvement associatif et au monde du
handicap engagé depuis plusieurs mois dans ce combat pour obtenir la déconjugalisation de l’Allocation aux Adultes Handicapés.
– Demande au gouvernement de revenir sur sa position actuelle et de soutenir cette déconjugalisation au Sénat comme à l’Assemblée Nationale lors des prochaines lectures du texte de loi