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À la une Aurélie Quemener Conseil métropolitain Logement – Urbanisme

Crise du logement : plaidoyer pour des modèles alternatifs et un plus fort soutien du gouvernement

Conseil métropolitain du 21 décembre 2023Intervention portée par Aurélie Quéméner au nom des élu·e·s écologistes et citoyen·ne·s sur la délibération n°1 : Habitat – Programme Local de l’Habitat – Adoption définitive au vu de l’avis des Personnes Publiques Associées

Merci Madame la Présidente, mes chers collègues, 

Nous avons déjà salué le contenu de notre nouveau Programme Local de l’Habitat  lors du dernier conseil, je ne reviens donc que très brièvement dessus. Un PLH ambitieux, au budget doublé, pour nourrir trois objectifs : 

  • construire des logements de qualité qui répondent aux besoins des habitants sur la métropole, dont 25% de logements sociaux. On ne le rappellera jamais assez : chacun·e a le droit inaliénable de se loger dignement. Notre PLH doit contribuer à garantir ce droit ; 
  • construire des logements qui répondent, grâce au référentiel bas carbone, à des normes environnementales exigeantes. Nous faisons ainsi du PLH un véritable outil de transformation écologique ; 
  • maîtriser le rythme de construction et la répartition des logements sur le territoire, pour un aménagement durable de notre métropole. 

Aujourd’hui, nous constatons cependant que ces ambitions sont mises en danger. En 2023, on a construit en France un quart de logements de moins que l’année précédente. La hausse des coûts de matières premières explique en grande partie ce phénomène. Dans le même temps, la baisse du pouvoir d’achat des ménages et les taux d’intérêt toujours élevés grèvent les capacités d’emprunt de nombreux ménages. La Fédération Française du Bâtiment table ainsi sur une baisse de 16% des mises en construction et de 12% des permis de construire délivrés en 2024. Avec, à la clé, la suppression de 100 000 emplois sur les deux prochaines années. 

Une crise du logement et de la construction qui intervient au pire moment, alors que de nombreux ménages ont du mal à se loger, et que le dérèglement climatique nous impose de revoir nos modes de construction, ce qui nécessite des investissements supplémentaires. La hausse des coûts vient à l’inverse fragiliser le secteur de la construction durable, fondée sur l’utilisation de matériaux biosourcés. Dernière illustration emblématique : la mise à l’arrêt du projet Horizon Bois, du groupe Lamotte, qui devait être le démonstrateur en plein cœur de Rennes du futur de la construction, et le plus grand immeuble en bois de Bretagne. 

Autre illustration de la situation ubuesque que nous vivons : les bailleurs sociaux et surtout Action Logement rachètent actuellement 1500 logements en opération d’initiative privée sur la métropole, avec de l’argent débloqué par l’Etat, pour les sauver de la faillite. On pourrait presque s’en féliciter, car cela nous permettra de consacrer une part importante au logement social dans le programme. Mais c’est-à-dire l’impasse dans laquelle se trouve actuellement le secteur de la construction neuve et l’ensemble des acteurs de la chaîne qui y est adossée. Nous assistons en direct au naufrage du système capitaliste de la production de logements. Il est peut-être enfin temps de remettre ce système en cause, se poser les bonnes questions, et inventer d’autres modèles. Non, le libre marché ne régule pas de façon efficiente tous les secteurs de l’économie, et particulièrement celui de la construction. 

La bonne nouvelle, c’est qu’ailleurs, d’autres systèmes font leur preuve. En Allemagne, les coopératives d’habitat ont connu un boom fulgurant suite à la crise des subprimes en 2008. Des locataires s’associent pour acheter terrain et immeuble et définir ensemble les règles qui régissent la vie dans l’ensemble immobilier, la répartition entre les espaces communs et les espaces privatifs, la prise de décision. L’économie d’échelle réalisée leur permet d’avoir accès pour moins cher à leur logement. L’habitat coopératif ou participatif, c’est ainsi 5% de la production annuelle de logements en Suisse, 15% en Norvège… et seulement 0.8% en France, malgré sa reconnaissance par la loi ALUR de 2014. A l’échelle de notre métropole, nous agissons au travers du PLH pour que s’amplifie le mouvement, même si nous manquons encore d’outils de pilotage et de moyens dédiés. Il manque par ailleurs une politique volontariste au niveau national pour structurer véritablement les acteurs et changer d’échelle. 

D’autres initiatives sont à encourager, comme les foncières citoyennes, les sociétés immobilières coopératives, etc… qui nous permettent de réinterroger le modèle capitalistique actuel. Rennes a toujours été à la pointe de l’innovation sociale sur les questions de logement, et dispose de sérieux atouts dans ses universités et son administration pour mener des projets pilotes. Là encore, la métropole ne peut agir seule, elle doit aussi pouvoir compter sur un État accompagnant et facilitant. 

Sur le volet des ressources enfin, nous devons tenir le cap de nouvelles normes constructives, mieux disantes sur le plan environnemental, pour des logements mieux isolés et plus durables. Nous avons adopté dans cette enceinte, au dernier conseil, une stratégie d’économie circulaire qui vient justement confirmer ces orientations. Relocaliser en partie la fabrique du logement, soutenir les filières terre crue et terre paille, normaliser leur utilisation auprès des constructeurs grâce aux documents techniques unifiés… tout cela nécessite un pilotage stratégique et des moyens dédiés. Malgré la crise actuelle, nous ne sommes pas démunis : nous avons du foncier disponible (par exemple à la Janais), des acteurs qui sont prêts. Le groupe Lamotte a racheté plusieurs entreprises de construction bois : ils savent faire. Gendreau a mis au point une solution technique pour réemployer jusqu’à 350 000 tonnes de terres excavées : ils savent faire. 

Des exemples de projets innovants fleurissent autour de nous. A Chevaigné, c’est une briqueterie solidaire qui mêle écoconstruction et accueil inconditionnel au sein d’une communauté Emmaüs, pour réemployer et remouler des briques de terre crue et de paille. A une échelle plus grande, à Guérande, c’est le projet Fabrique Terre, un bâtiment de 500 m2, destiné à produire des matériaux en terre crue et soutenir la filière terre sur le territoire. Montant de l’opération :  500 000 euros coportés par la Région, l’Ademe et la DREAL. Le soutien public, à plusieurs échelles, est indispensable pour faire émerger ce type de projets, le temps qu’ils se généralisent et gagnent en échelle. Et tout euro investi aujourd’hui est un outil pour faire face à l’explosion du coût des matières premières qui est amenée, selon toutes les prévisions, à se poursuivre dans les années à venir. C’est le moment d’investir, pour ne pas payer encore plus cher demain ce que nous n’aurons pas voulu payer aujourd’hui. 

Pour conclure, si nous nous félicitons de l’adoption de notre nouveau PLH, nous appelons par ailleurs à des signaux politiques forts vis-à-vis des filières et des acteurs de la construction durable sur notre métropole, pour renouveler notre fabrique du logement. C’est un chantier d’ampleur, qui demande des innovations sociales et de rupture dans le contexte morose actuel. Un chantier auquel l’Etat devra prendre sa part pour soutenir les territoires qui osent faire différemment. Nous espérons bien être de ceux-là, et ainsi garantir à nos habitants le droit à un logement digne, accessible, durable. 

Je vous remercie. 

Seul le prononcé fait foi