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À la une Conseil municipal Démocratie – Citoyenneté Valérie Faucheux

Pour un renouvellement de la libre administration des collectivités

CONSEIL MUNICIPAL DU LUNDI 17 OCTOBRE 2022Intervention de politique générale portée par Valérie Faucheux

Au moment où est débattu à l’Assemblée Nationale le projet de loi de finances, avec en toile de fond la menace d’utilisation du 49.3 par le Gouvernement, je souhaite ce soir exprimer la perplexité et l’incompréhension des élus locaux que nous sommes face aux mesures annoncées concernant les collectivités locales. 

Mise en place d’un fonds vert de 1,5 million, augmentation de la dotation globale de fonctionnement de 320 millions, filet de sécurité de 430 millions, renforcement du plan vélo de 250 millions …

À chaque réunion d’association d’élu.es, le gouvernement publie une nouvelle annonce pour calmer la grande colère partagée de manière quasi unanime par les représentants des collectivités quel que soit son échelon territorial, quelle que soit leur sensibilité politique. 

Grande valse des millions. Comment le citoyen, l’habitant peut-il comprendre ?

Ces promesses qui semblent de prime abord bien généreuses cachent la grande partie de bonneteau dans laquelle nous engage le gouvernement. Ce qu’il prétend donner d’une main, il le reprend de l’autre avec ce qu’ils osent appeler « le pacte de confiance ». Au nom du « redressement des comptes de la nation », les collectivités se verront une nouvelle fois contraintes de limiter leurs dépenses de fonctionnement :   augmentation autorisée de 3,8 % en 2023 ; 2,5 % en 2024 pour finir à 1,3 % en 2026 et 2027, sous peine de voir réduire d’autant la dotation de fonctionnement. Je rappelle à nos concitoyens que les collectivités, contrairement à l’État, doivent présenter un budget en prévisionnel et en réalisation systématiquement à l’équilibre. L’État est donc le seul responsable de son déficit. 

En cette période de forte inflation, comme les ménages, nous voyons les dépenses de fonctionnement flamber : achat d’énergie pour tous nos bâtiments communaux, de denrées alimentaires pour nos cantines, nos crèches et nos Ehpad, de matériaux divers et variés. Ces seules augmentations suffiront à atteindre et à dépasser les limites que nous impose le gouvernement. Sans même augmenter notre service public local, nous serons punis ! Rappelons que la dotation de fonctionnement que l’État verse chaque année est une participation à la mise en œuvre des compétences qu’il a lui-même transférées dans le cadre des différentes lois de décentralisation. Par exemple, depuis 1982, la commune doit gérer les bâtiments scolaires et des personnels qui en ont la charge. Dans une ville comme la nôtre dont les effectifs scolaires augmentent chaque année, doit-on comprendre qu’il ne faut plus construire de nouvelles écoles, recruter d’Atsem, d’agents d’entretien et de restauration ? 

Pour atteindre les objectifs que seul l’État nous assigne, faudra-t-il décider de fermer des bâtiments, des gymnases, des maisons de quartier, une salle de spectacle, des jardins parce que nous ne serions plus en mesure de les entretenir ? Faudra-t-il comme l’État le fait renvoyer les habitants vers des plateformes numériques pour leurs actes du quotidien sans assurer l’accueil de la population ? C’est-à-dire réduire le service public local qui pourtant dans ce monde fracturé par les politiques néolibérales est le gage de l’égalité républicaine permettant l’accès de toutes et tous aux biens communs d’intérêt général.  Et pourtant les besoins sont d’autant plus grands que l’État dans sa fuite avant néolibérale a restreint sa capacité d’agir auprès de la population, obligeant les collectivités à prendre en charge certaines compétences. Je pense notamment en matière de santé. La casse de l’hôpital et du système de médecine générale pousse de nombreuses communes à mettre en place des centres de santé de proximité. Comment pourront-elles le financer et maintenir une offre de soins essentiels ? 

L’État a voulu retenir du rapport de la Cour des Comptes de juillet 2022 que la situation financière des collectivités était globalement satisfaisante un an après la crise COVID. Il s’est bien gardé de s’attarder sur le fait que la Cour souligne que « les communes de plus de 100 000 habitants dont les équilibres financiers avaient été davantage fragilisés en 2020, n’ont pas encore retrouvé leur niveau d’épargne brute de 2019 ». Rappelons que depuis 2014, les collectivités ont déjà été ponctionnées de 46 milliards d’€ ! Mais qu’importe, les « contrats de confiance » sont prévus pour l’ensemble des collectivités locales, quelles que soient leur taille et leur situation.

Par ailleurs, la succession des réformes de la fiscalité locale, par la suppression de la taxe professionnelle, de la taxe d’habitation et bientôt de la Contribution sur la Valeur Ajoutée des entreprises réduisent d’autant l’autonomie budgétaire du bloc communal. Autant de promesses électoralistes du candidat que le président n’assume pas directement en faisant porter la charge aux autres. 

La libre administration des collectivités, principe inscrit dès les premières lois de décentralisation n’est désormais plus respectée, vidant de substance le « pacte girondin » qui prévalait. L’impuissance publique des collectivités est organisée dans une volonté recentralisatrice débridée. C’est une mise sous tutelle qui ne dit pas son nom. Nous perdons progressivement notre autonomie financière et donc notre capacité d’action pour mettre en œuvre les politiques publiques indispensables pour nos concitoyens, y compris les politiques structurantes de transition écologique et de lutte contre les inégalités sociales. La suppression de la taxe d’habitation a fait de la taxe foncière le principal impôt local auquel sont astreints bon nombre des ménages, alors qu’un certain nombre de propriétaires ne disposent pas d’un revenu plus important qu’une partie des locataires. Impôt d’autant plus injuste qu’il n’est pas adossé aux revenus. 

Appel à projets, Plan de relance, Fonds divers et variés, Certificat d’économie d’énergie… Autant de cagnottes non pérennisées qui fragilisent les politiques publiques, embolisent nos services qui doivent remplir de multiples dossiers.  En nous forçant à aller quémander l’obole auprès de l’État, notre initiative, notre capacité à expérimenter de nouveaux services afin de répondre aux besoins des habitants est empêchée.

Le contrat entre l’État et les collectivités est durablement entaché par les soupçons, les méfiances alimentées par les gouvernements successifs à l’encontre des élu.es. Le découragement se fait jour que l’on soit élu d’une commune rurale ou d’une grande ville. Il est urgent de reprendre le dialogue et de réinstaurer des rapports équitables entre l’État et les collectivités afin d’assurer la cohérence de nos politiques sur l’ensemble du territoire tout en tenant compte des spécificités locales et des besoins des habitants. 

Ainsi affirmer l’autonomie des collectivités dans un cadre national, c’est leur donner les moyens d’agir et d’innover. Dans ce cadre, une fiscalité locale juste et équitable doit être mise en place. Chaque habitant, chaque entreprise doit pouvoir participer au financement des services publics locaux à proportion de ses capacités, gage sine qua non de l’adhésion à l’impôt. L’État aurait ainsi la responsabilité d’organiser une péréquation financière entre les territoires les plus riches et les plus pauvres, et ainsi garantir le respect du principe d’égalité au plan national.

Enfin, plutôt que des relations marquées par le sceau de la confrontation avec l’État, nous plaidons pour un mode de collaboration où le pacte girondin se traduise enfin concrètement. 

Le pacte de confiance que nous appelons de nos vœux nécessite un renouvellement de la libre administration des collectivités. Un mode de collaboration où le droit à l’expérimentation est réaffirmé et soutenu, où le principe de subsidiarité se traduit concrètement dans la vie locale. En matière environnementale, par exemple, il est légitime que les collectivités interviennent pour réduire les risques sanitaires en interdisant l’épandage de pesticides. Pourtant cette faculté lui est refusée, car les gouvernements successifs préfèrent répondre aux exigences du lobby agro-alimentaire. 

De même, nous ne supportons plus de subir une politique migratoire idéologique totalement inefficace d’une part et surtout qui pousse des milliers de personnes à vivre dans des conditions indignes.  C’est pourquoi la Ville de Rennes, mais comme un certain nombre de communes avons pris en charge la mise à l’abri des personnes exilé.es. Mais cela ne suffit plus dans le contexte budgétaire qui est le nôtre. Comme en Allemagne, nous pourrions coopérer en la matière avec l’État, la Région, le département, et les filières économiques créatrices d’emplois, avec chacun ses compétences, pour mettre en place un plan de régularisation et d’intégration de ces personnes et de leurs familles. 

En l’absence de dialogue et de coopération, la conflictualité politique sera le seul outil pour rétablir les termes de l’échange. Ainsi, comme les citoyens ayant soutenu l’affaire du Siècle en portant plainte contre l’État pour inaction climatique, il ne nous restera que les moyens juridiques pour astreindre l’État à ses obligations au regard du code des affaires sociales, c’est-à-dire la mise à l’abri. En l’absence de réponse de l’État, les écologistes soutiendraient une telle plainte si elle devait être portée par la Ville de Rennes. 

– Seul le prononcé fait foi –