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Mobilités : une délégation de service public pas assez ambitieuse

[Conseil métropolitain du 19 octobre 2017]

Le renouvellement de la délégation de service public à Keolis a été acté en conseil de Rennes Métropole. Elle est un maillon important de notre politique de mobilité pour les années à venir. Tarifs des transports en commun, vélo, covoiturage : nous avons mis le doigt sur plusieurs points de vigilance.

Conseiller métropolitain

Président du groupe écologiste à Rennes Métropole

 

 

Intervention de Morvan LE GENTIL au nom du groupe écologiste 

Nous dessinons ce soir, dans le contrat de délégation de service public confié à Kéolis, un bloc important de notre politique mobilité pour les années à venir. Le groupe des élu-e-s écologistes votera cette délibération, qui intègre un certain nombre d’axes travaillés ces derniers mois dans le cadre des réflexions autour du plan de déplacements urbain :

  • Renforcement de la desserte des communes hors cœur de métropole
  • Concrétisation d’une politique « vélo » ambitieuse, alliant matériels et services
  • Innovation autour du développement du covoiturage
  • Évolution de la motorisation des bus pour rompre avec les énergies fossiles
  • Ancrage de la tarification sociale

Le tout dans un budget maîtrisé, puisque selon les hypothèses présentées ce soir on génèrerait en 7 ans + 32 % de fréquentation, pour un coût résiduel accru de 7 % – correspondant grosso modo à l’inflation pronostiquée sur la période.

 

Nous nous trouvons pourtant en désaccord avec l’un des fondements qui préside à cette autosatisfaction budgétaire. Car si le delta « dépense – recette » est effectivement calqué sur l’inflation côté métropole, il n’en va pas de même du côté des tarifs appliqués aux usagers. Nous avons déjà eu l’occasion de le dire : continuer à inscrire dans la DSP le principe d’une augmentation tarifaire supérieure à l’inflation est pour nous incompréhensible, et impossible à argumenter auprès de nos publics.

 

 

Certes ce « malus » est ramené de 2% à 0,5% ; certes nous ne sommes pas au plus haut des tarifs pratiqués dans certaines métropoles ; certes la qualité de notre réseau progressera encore avec la ligne B… mais la question n’est pas là. La vérité c’est que dans notre contexte de congestion et d’atmosphère de plus en plus alarmante – j’emploie ce mot à dessein – ce sont les usagers qui nous rendent service lorsqu’ils font le choix de laisser leur voiture au garage. Et nous devrions les remercier, tous, de contribuer à freiner le scandale sanitaire de la pollution atmosphérique, qui cause plus de 500.000 morts par an en Europe. Et nous devrions chercher tous les moyens de les y inciter, encore et encore.

Au lieu de cela, par ce coefficient « inflation + 0,5 % » que nous gravons dans le marbre, nous actons que le coût du transport va augmenter plus vite que les revenus des ménages. Nous actons un effet désincitatif, contradictoire avec l’orientation majeure de notre PDU. Avec un risque de plus en plus fort de passer le seuil psychologique au-delà duquel le tarif devient trop cher. La majorité des personnes qui se déplacent quotidiennement disposent d’un véhicule : ils opèrent chaque jour un choix, dans lequel le prix reste un déterminant essentiel. En renchérissant la part TC dans le budget d’une famille, on fait mécaniquement du report modal à l’envers.

 

Cette divergence exprimée, permettez-moi d’aborder quelques autres points qui nous questionnent ou qui appellent selon nous une vigilance, dans le contrat présenté ce soir.

En premier lieu, je voudrais revenir sur l’articulation entre intra et extra-rocade. Avec un métro performant limité à l’intra-rocade et des problématiques de congestion largement déplacées vers l’extra-rocade aujourd’hui, cette articulation va être essentielle dans les prochaines années : le renforcement des lignes hors cœur de métropole est une réponse, mais elle ne saurait être suffisante.

À ce titre la logique de rabattement des bus métropolitains vers les stations de métro peut interroger : on risque la double peine si on additionne la congestion lors du franchissement de rocade avec un détour vers le métro et un temps de correspondance. Pour prendre une ligne que je connais bien, la 51 en provenance de Betton qui sera rabattue vers les Gayeulles, le gain de temps est loin d’être évident : ce qui desservira l’attractivité que nous voulons renforcer pour ce mode. A notre sens, pour être parfaitement pertinent ce choix doit s’accompagner d’un engagement fort, y compris en infrastructures, pour développer les franchissements de rocade en site propre TC.

Autre exemple de l’attention toute particulière que nous devrons porter à l’extra-rocade : en matière de tarification sociale il semble que le non-recours (des gens qui y auraient droit mais n’en profitent pas, quelle que soit la raison) y soit beaucoup plus répandu que sur la ville-centre. Cela signifie qu’avec le PLH nous partageons mieux la responsabilité du logement des plus vulnérables, mais qu’en revanche nous peinons encore à transformer l’essai en matière de mobilité pour ces usagers. C’est un enjeu fort car un déficit de mobilité débouche vite sur un déficit de service, d’emploi ou d’inclusion. Il est sans doute encore trop tôt pour tirer des analyses du nouveau mécanisme de tarification solidaire, mais nous insistons sur l’importance de lutter contre ce non-recours, en lien avec les CCAS des communes.

 

Deuxième point de questionnement, l’innovation que constitue l’intégration des politiques « vélo » et « covoiturage » dans la DSP. Mon propos n’est bien sûr pas de remettre en cause ces objectifs, que nous soutenons depuis longtemps. Mais nous ne sommes pas très à l’aise, pour être franc, avec la concentration de tous les leviers aux mains d’un seul prestataire ; comme nous ne sommes pas très à l’aise avec un appel d’offre auquel seul répond le délégataire en place. Cela ne remet pas en cause la qualité du travail de Keolis, mais ça rogne à l’évidence nos marges de négociation – sans parler de l’image renvoyée au citoyen.

On l’a compris, vélo et covoiturage faisaient partie de la dot proposée par Keolis pour se garantir un coup d’avance sur la concurrence. Cela résonne d’ailleurs avec leur stratégie visant à devenir « opérateur des mobilités » et non seulement gestionnaire de transports en commun. Rennes Métropole leur permet en quelque sorte de se « faire la main » sur ces sujets.

Mais nous aurions souhaité que la DSP prévoie des objectifs plus affirmés pour ces modes de déplacement, en termes de nombres de voyages, d’utilisateurs, de kilomètres parcourus, des indicateurs de suivi et des mécanismes plus incitatifs vis-à-vis du délégataire.

 

C’est notamment vrai pour le covoiturage, pilier de notre futur PDU pour lutter contre la voiture solo : nous notons que Kéolis fera la promotion auprès des particuliers et des entreprises sur ce mode collectif de déplacement, mais aujourd’hui l’enjeu est tel que la seule communication, de campagnes en stands d’information, ne suffira pas. Ni même une Nième application, aussi bien faite soit-elle. Car le problème est là : d’un côté un besoin lourd d’accompagnement du changement, notamment au sein des entreprises pour faire évoluer les déplacements domicile-travail ; de l’autre une multiplication d’acteurs proposant communications et applis. Citons à la volée et sans exhaustivité : le leader national, bien connu mais peu porté sur les trajets du quotidien ; l’initiative « moyennes distances » PoPVroom, que la SNCF teste sur Rennes Métropole ; le site spécialisé WAYZUP ; CARBIP, intégré dans une expérimentation sur le campus de Ker Lann ; les plates-formes EHOP et EHOP solidaires ; le futur site régional OUEST-GO, projet de plusieurs partenaires dont le Conseil Régional et Rennes Métropole ; sans oublier Covoiturage +, partenaire de longue date de la Métropole et point d’appui incontournable.

Paradoxalement, la multiplication des offres risque aujourd’hui de brouiller le message et de perturber la volonté de changement des éventuels covoitureurs. Cette multiplication nous alerte et il faut sans doute travailler davantage à clarifier le paysage, à agréger les propositions plutôt qu’à en ajouter une nouvelle.

En complément, la piste des incitations au covoiturage (conducteur comme passager) est effectivement à creuser : la carte Korrigo Services pourrait en être un support, à condition de respecter la ligne rouge que nous avions tracée, pour ne pas y inclure d’offres commerciales.

 

Cette DSP embrasse un champ d’action tellement vaste, d’autres points mériteraient bien sûr d’être abordés :

  • L’intérêt d’expérimenter, au-delà du bus électrique, d’autres options de motorisation décarbonée, notamment le BioGaz : ceci afin de ne pas nous enfermer dans une seule filière technologique et d’enrichir notre référentiel d’expériences, pour un meilleur choix in fine;
  • La projection qui reste timide sur le VAE en location longue durée, à volumétrie constante sur 7 ans alors que la demande continue à croître et n’a pas encore donné sa pleine mesure extra-rocade. Nous serons également attentifs à l’animation de la Maison du vélo avec l’ensemble des acteurs, notamment les associations d’usagers ;
  • La vigilance à avoir, au niveau du service Handistar, sur les spécificités de chaque public handicap physique / déficience intellectuelle / personnes âgées dépendantes : un retard, par exemple, peut s’apprécier différemment pour une personne tétraplégique dont l’habillage et la préparation peuvent prendre plusieurs heures. Par une organisation souple et adaptée, il s’agit avant tout d’éviter toute concurrence entre les publics sur un service aussi crucial.

 

Je ne développe pas plus ces points. Je voudrais plutôt conclure par une pensée pour les agents de Keolis, en particulier conducteurs et conductrices de bus. Ces dernières semaines ils se sont mobilisés pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Notre métropole par l’intermédiaire de notre VP est à leur écoute, nous le savons, et a répondu à leurs demandes dans le cadre de ses compétences. Mais il nous faut rappeler à notre délégataire, que les exigences vis à vis des salariés, notamment des conducteurs et conductrices pour fournir un service de qualité et notamment pour tenir les horaires, ne peut se faire au détriment et de la sécurité des habitants, ni au détriment des conditions de travail des conducteurs. L’attention que nous portons aux bilans sociaux de notre délégataire est importante, car une bonne DSP doit aussi être bâtie pour eux, qui font que les habitants de Rennes Métropole sont satisfaits de ce service. Un chauffeur de bus bien considéré et serein sera d’autant plus accueillant, et sa conduite appropriée pour le bien-être de tous.

 

Je vous remercie.