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Catherine Phalippou Conseil municipal

La laïcité libère les individus sans neutraliser les cultures

[Conseil municipal du 19 septembre 2016]

 

La contribution du Comité Consultatif Laïcité « Pour une charte rennaise de la laïcité » a été présentée en Conseil Municipal. Catherine Phalippou qui a participé à l’élaboration de ce rapport au nom du groupe écologiste a invité à réfléchir sur les conditions de réalisation de l’esprit de la loi de 1905.

Conseillère municipale

Déléguée aux Musées

Intervention de Catherine Phalippou au nom du groupe écologiste 

 

citationChacun d’entre nous considère la laïcité à l’aune de ses propres attentes, de sa propre éducation. Beaucoup l’évoquent même avec force trémolos dans la voix et nous tenons majoritairement à elle comme à une conquête commune, que cependant il est vrai chacun s’approprie variablement. De principe politique et juridique elle se transforme ainsi facilement en principe moral, confondu avec notre vision du respect que chacun nous nous devons, a minima, réciproquement. Pourtant la laïcité n’est pas forcément ce que chacun veut y voir.

Le Comité Consultatif de Laïcité rennais a offert et va continuer à offrir un espace d’échanges précieux pour réfléchir ensemble sur nos approches de l’esprit de la Loi de 1905. Cet esprit, ni fixé dans le marbre, ni poussiéreux, anime les républicains que nous nous voulons être, nous écologistes.

Nous voulons la res-publica c’est-à-dire la chose publique, et nous admettons que la loi de séparation de l’État et des institutions religieuses, pour interdire aux Églises d’intervenir dans les affaires publiques, oblige toutefois l’État à en permettre à leurs membres un égal exercice, c’est-à-dire que tout en leur accordant une nature exclusivement d’affaire privée, l’État ne leur exige pas de disparaître de l’espace public. Il leur interdit de le réquisitionner, il ne le neutralise pas.

La laïcité est un des principes que s’impose la République française, et elle a été voulue en France pour garantir la liberté individuelle de conscience des non croyants, comme des croyants. Le XXème siècle a voulu garantir le droit d’être croyant, ou agnostique, ou athée aux individus en conférant des devoirs à l’État : celui de ne financer aucune religion, celui de ne contrôler aucun culte. In fine, la laïcité c’est le droit pour chacun de se définir librement en rappelant que ni la croyance ni la non-croyance ne relève jamais de l’essence d’aucune personne, mais toujours d’un choix libre et éclairé.

Si la condition d’un tel choix responsable venait à disparaître, alors la croyance ou la non-croyance serait superstition et nourrirait le sectaire, c’est-à-dire ce qui à proprement parler sectionne, coupe nos relations, empêche les échanges.

Or il s’agit bien par la laïcité de favoriser le vivre ensemble dans la liberté de chacun.

La laïcité est donc un principe juridique, un principe de droit, une condition sine qua non de la réalisation de nos libertés, de façon égale et fraternelle, elle est une valeur fondamentale que partagera tout Français et toute Française animé de l’esprit républicain.

Nous soutiendrons ensuite haut et fort qu’au nom de la laïcité, l’État français doit accorder aux individus des droits, qu’il ne peut en aucun cas leur en retirer. Quand la laïcité fait la une de l’actualité et qu’en son nom certains réclament que des concitoyens perdent des droits ou au contraire qu’en son nom des privilèges puissent être réclamés, sa dite défense n’est pas légitime.

Au nom de la laïcité, certains voudraient ainsi imposer une vision du « bon Français », de la « bonne Française », une identité majoritaire ou « nationale », à d’autres, supposés par essence incapables de « s’intégrer » sinon de « s’assimiler » à la communauté « majoritaire ». Et d’aucuns brandiront le risque de trouble à l’ordre public avec une vision bien délétère de l’esprit républicain, animés de peurs et au bénéfice d’un climat anxiogène qui sert efficacement leurs intérêts du moment.

Au nom de la laïcité, d’autres – ou les mêmes – réclament aussi un retour à des valeurs considérées perdues, et demandent à l’État de guérir l’état de crise dans lequel nous sommes. Combattre les ignorances réciproques, à l’école par exemple, favorise bel et bien la tolérance, et l’enseignement des religions est à encourager, mais rappelons seulement alors qu’on ne peut conférer à l’école de la république, le rôle d’éveiller à une supposée vérité de ces dogmes. Garantissons-lui bien, à l’école, à ses professeurs, le droit de pouvoir toujours ouvrir les débats par la raison et favoriser la critique. Permettons bien également – et dans le même ordre d’idées – aux médias de pouvoir rire de tout et de favoriser le libre arbitre. Ne nous trompons pas sur les ennemis de la république. Une critique des croyances, religieuses ou pas, n’est blessante que pour celui qui ne saurait pas répondre à la pertinence de l’attaque. Elle n’est pas à censurer mais à encourager pour aider le citoyen à distinguer, prévenir, aider aussi.

Toute critique est donc digne d’être écoutée et quel recours sinon à la violence resterait-il à celui ou celle auquel le droit à la pensée critique serait nié ?

La laïcité s’oppose effectivement à une vision ethnocentrée et sécuritaire de la République française.

Cependant sert-elle forcément le vivre ensemble ? Le risque de la dévoyer reste grand quand les efforts en sa faveur servent de cache misère à un déficit de justice sociale et de représentation, quand elle donne bonne conscience et fait oublier par exemple nos échecs politiques dans les banlieues. Si la laïcité est principe juridique pour vivre individuellement libre, elle n’est principe politique utile au vivre ensemble que quand le faire s’accorde au dire. Elle doit enfin être reconnue comme principe social, mais dont l’État n’a pas l’apanage.

L’État doit en effet s’accorder avec la société civile pour que la laïcité ne reste pas lettre morte. Le débat seul permettra sa concrétisation car jamais la laïcité ne se décrétera d’un quelconque sommet. Il faut qu’elle se vive dans le quotidien du corps social, qu’elle se réalise. Nous partageons le même espace public, de droit, le risque d’une fragmentation communautaire de notre société ne pourra être endigué qu’en permettant les rencontres dans l’espace public de nos diversités, de fait. Ainsi dans un État laïque, j’ai le droit de croire ou de ne pas croire, mais j’ai aussi le devoir de ne pas imposer ma croyance ou ma non-croyance à quiconque. La responsabilité de la laïcité n’incombe donc pas qu’aux institutions. Par conséquent, non seulement le choix de culte ou de non culte ne doit jamais discriminer ni négativement ni positivement l’individu, non seulement la laïcité est principe de droit, que l’État doit appliquer, mais la laïcité est aussi un ressort de lien social qui aide à l’intégration de tous les individus à la société.

Une Charte Rennaise de la Laïcité répond au projet de résoudre les problématiques concrètes de conciliation du droit à la liberté avec les contraintes du vivre en commun.

À quoi notre ville peut-elle s’obliger pour servir l’exigence légale laïque, dans le respect de ce que nous voulons ensemble dans l’intérêt général, ici à Rennes ? Comment vivre ensemble librement nos droits ? Comment accueillir au mieux en mairie, comment cohabiter à la piscine, à la cantine, dans les bibliothèques ou ailleurs ? Nous avons voulu réfléchir à plusieurs afin de formuler des préconisations pour apaiser le plus possible l’accès des citoyens rennais aux services dus par la Ville au public. Notre contribution a été modeste mais enthousiaste.

Nous tenons à saluer la qualité des échanges entre les intervenants au sein du Comité Consultatif Laïcité de la Ville de Rennes. Nous avons reconnu ensemble le danger du dogmatisme, expérimenté la valeur du dialogue, et nous nous sommes autorisés à admettre le cas par cas parfois. Pour chacune des interrogations qui se présentait quant au comment « faire laïque » pour la Ville de Rennes, nous avons réclamé la clarté dans l’information, et préféré parier sur l’intelligence et la pédagogie dans l’approche de la loi par tous, les habitants comme usagers ou bénévoles, les agents comme employés de la Ville. Les préconisations du Comité portent sur les occasions de partage de l’espace et des temps communs. Garantissons ainsi que les dénominations de nos rues reflètent notre diversité ; permettons lors des repas pris par nos enfants à la cantine scolaire un partage respectueux comme le plus convivial possible en ouvrant à quatre choix possibles… mais n’oublions pas le principe de réalité qui s’impose à la cuisine centrale ; questionnons nos revendications en matière de célébrations de mariage ou de funérailles, etc… questionnons-nous pour appliquer au mieux la loi dans son esprit.

Mesdames, messieurs, depuis le 9 mars 2015 et la création par délibération du Conseil Municipal rennais de ce « Comité Consultatif Laïcité », trop d’événements ont endeuillé ou attristé la France tous porteurs de menaces envers le pacte républicain autour des valeurs de liberté, égalité, fraternité. Il est urgent de soutenir les progressistes partout où ils sont, partout d’où ils parlent qu’ils soient non-croyants ou croyants. Il est important d’être solidaires pour dénoncer quand le droit à la parole est bafoué. Mais pour cela il faut que nous puissions nous écouter, nous découvrir dans la diversité de nos visions culturelles du monde.

Il nous semble alors à nous, écologistes, important de porter là aussi haut et fort l’idée selon laquelle l’auto-définition et la reconnaissance de ce qui constitue sa culture, son identité culturelle, est un droit inaliénable de la personne.

S’il est demandé à chaque citoyen en république de souscrire à un idéal universaliste qui garantisse à chacun le droit d’être reconnu dans ses droits inaliénables, en rien cette exigence ne doit se payer du prix de la perte de ce qui nourrit l’identité culturelle de la personne. L’expression « identité culturelle » est ici comprise comme l’ensemble des références culturelles par lequel une personne, seule ou en commun, se définit, se constitue, communique et entend être reconnue dans sa dignité. Nul ne peut assigner quiconque à une référence, et encore moins à une seule référence culturelle. Les références culturelles, dans leur diversité, permettent à la personne de faire sa propre unité et de se lier de façon libre à d’autres. Le principe même de laïcité oblige les institutions à organiser politiquement et juridiquement l’égale dignité et le respect mutuel des identités culturelles des personnes.

Nous aurons ainsi le souci de demander dans les prochaines rencontres du Comité Consultatif Laïcité que la Charte de la Laïcité Rennaise prenne en compte les droits culturels énoncés déjà par l’UNESCO et le Conseil de l’Europe, et depuis 2015 inscrits dans la loi française.