Intervention de Gaëlle Rougier au nom du groupe écologiste
Nous souhaitons évoquer la mobilisation contre la loi El Khomri. Je vais tenter de l’aborder avec un regard lucide mais également sans démagogie, avec beaucoup d’humilité, car la mobilisation des jeunes de ce pays, les Nuits debout, mais également la violence de certains, ont donné lieu à tous les amalgames et à toutes les interprétations possibles, entre mépris et incompréhension pour cette jeunesse qui aspire à un autre modèle de société.
La jeunesse a raison de contester, à la suite des syndicats et des salariés, le bien-fondé du projet de loi travail.
Cette loi est une erreur, une de plus, d’un gouvernement en déshérence idéologique et incapable de créer les conditions d’un vrai dialogue social.
Les arguments contre cette loi ont été largement relayés ces derniers jours.
Mais concernant les jeunes, je souhaiterais dire ici qu’ils ne sont pas dupes.
Les avancées promises dans le cadre de la loi ne suffisent pas à apaiser l’angoisse et la colère que suscitent un marché du travail complètement sclérosé et les fortes inégalités d’accès aux études et à l’emploi.
La garantie jeune est un bon dispositif pour les jeunes en difficulté. Intégrer son extension à un projet de loi qui fragilise la jeunesse sur le marché du travail, c’est leur dire : « nous créons les conditions de votre échec sur le marché du travail mais si vous échouez nous avons la garantie jeune pour vous, en gros nous créons les conditions du naufrage mais si vous sombrez nous avons la bouée de sauvetage ».
Les jeunes travailleurs, étudiants, lycéens, ne s’y trompent pas. Ils savent qu’elle s’inscrit surtout une logique libérale dont les effets en matière d’inégalités et de chômage ont déjà trop conditionné leur avenir.
Certains ont peut-être encore en tête les tentatives de la droite de mettre en place le CIP et le CPE… Ils sont légitimes à se demander ce qui diffère aujourd’hui avec ce projet de loi. Ils sont légitimes aussi à se mobiliser.
Pour mémoire, ces mobilisations de la jeunesse se sont toutes deux soldées par un retrait du projet de loi incriminé. Parce qu’aller contre la jeunesse, c’est un peu renoncer à agir pour l’intérêt commun.
Le gouvernement socialiste s’entêterait-il ? Entendre Nicolas Sarkozy dire que les jeunes de la Nuit Debout n’ont rien dans le crâne est à l’image du mépris et de la méconnaissance à droite de ce à quoi aspirent les jeunes aujourd’hui. Plus surprenants sont les propos de Manuel Valls et l’attitude d’un gouvernement socialiste face à cette jeunesse qui devait pourtant être une priorité politique du mandat.
Ici à Rennes, nous défendons l’idée qu’il faut faire pour les jeunes et avec les jeunes. Localement, nous tentons de développer des politiques qui les associent au mieux à la définition du pacte social qui nous lie à eux. C’est un principe simple et salutaire que pourtant le gouvernement n’a pas compris : on ne peut imposer un projet de loi qui concerne aussi les jeunes sans leur adhésion.
Nous sommes une ville qui accueille plus de 63 000 étudiants. C’est plus qu’à Nantes, c’est plus qu’à Lille. Un habitant sur deux à Rennes a moins de 25 ans. C’est une caractéristique fondatrice de notre ville qui participe de son dynamisme, qu’il soit associatif, culturel ou économique. Loin des clichés véhiculés actuellement par certains, nous avons une jeunesse qui s’engage, qui réfléchit.
On ne peut pas se targuer d’être riche de cette jeunesse, revendiquer qu’elle est un atout, pour la traiter avec mépris lorsqu’elle se mobilise, et répondre par l’intervention de plus en plus musclée des forces de l’ordre.
Et là nous arrivons au sujet qui agite nos collègues de droite de façon récurrente. Je les vois tendre l’oreille et ils ont raison car nous sommes là au cœur de l’un des fondements de l’écologie politique qui est le rapport à la violence comme mode d’action politique.
Nous avons tous été choqués des dégradations en centre-ville et de la violence avec laquelle quelques centaines de personnes se sont affrontées aux forces de l’ordre. Il est évident que certains sont là pour en découdre avec les CRS et qu’ils sont extrêmement bien organisés.
Cette violence, nous la condamnons. Elle nuit à la mobilisation générale, elle effraie les citoyens, elle permet les amalgames et parce qu’elle met le focus sur les agissements de quelques-uns, elle nous détourne des sujets de fond que sont la loi El Khomri ou l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Elle est d’ailleurs là pour cliver et non pour rassembler, elle est le fait d’individus qui rejettent par ailleurs la lutte syndicale et politique.
La violence n’est jamais, jamais, une réponse adaptée ou un mode d’action à légitimer. Et monsieur Plouvier, écoutez bien : les écologistes qui sont des pacifistes dans leur ADN politique, ont toujours eu une position cohérente et constante sur la violence, contrairement à d’autres qui ont une tolérance à géométrie variable : nous ne la légitimons pas d’où qu’elle vienne.
Ni des autonomes lors des dernières manifestations, ni des agriculteurs lorsqu’ils brûlent l’Hôtel des Impôts de Morlaix ou les portiques écotaxes, laissant une ardoise de 5 millions d’euros en Ille-et-Vilaine, ou des marins pêcheurs en 1994 lorsqu’ils mettent le feu au Parlement de Bretagne, manifestations d’une extrême violence, qui avaient, je vous rappelle, à l’époque amené l’État à renforcer l’équipement des gendarmes mobiles qui s’affrontaient à des bombes artisanales, des fusées de détresse en tir tendu.
L’escalade dans la violence ne peut non plus être une réponse d’un État démocratique. Bien sûr, nous ne sommes pas naïfs, il faut bien gérer ces manifestants violents, il ne s’agit pas de laisser faire.
Mais ce phénomène n’est pourtant pas nouveau, la violence a souvent émaillé au cours de l’histoire les mouvements sociaux sans qu’elle soit le fait, d’ailleurs la plupart du temps, des jeunes, et il ne faut pas s’en étonner. Lorsqu’elles sont concertées en amont avec les organisations syndicales, comme cela a été fait le 1er mai, les manifestations ne débordent pas.
Nous ne pouvons que déplorer les nombreux blessés chez les jeunes manifestants, une quarantaine sur Rennes le 30 avril. L’un d’eux a perdu un œil. C’est extrêmement grave. Nous aurions souhaité que d’autres voix s’élèvent, aux côtés du Président de Rennes 2, pour déplorer cette violence-là.
Alors que le gouvernement vient de décider de doter d’armes de guerre les brigades anti-criminalité, l’Association chrétienne pour l’abolition de la torture (ACAT) vient de publier un rapport accablant sur les violences policières. L’ONG dénombre depuis 2005 au moins 1 mort et 39 blessés graves par flash-ball, dont 21 ont perdu l’usage d’un œil. 30% de ces victimes sont mineures.
Aux côtés du défenseur des droits et du collectif qui a lancé hier un appel, nous demandons, comme nous l’avons toujours fait, l’arrêt immédiat de l’utilisation du flash-ball, qui est une arme possiblement létale.
Cette escalade dans l’utilisation des armes et la mise en œuvre de stratégies de plus en plus offensives de la police ne peut que déboucher à terme sur de nouveaux drames comme à Sivens, avec la mort de Rémy Fraisse.
Quant aux rassemblements Nuit Debout, ils ont été assimilés aux casseurs par certains alors que si parfois ils cohabitent, ils sont le fruit de démarches totalement différentes. D’autres y ont vu un rassemblement de bobos qui se font plaisir.
Aujourd’hui, le débat d’idée est porté sur la place publique, au sens littéral du terme. Il n’est pas toujours structuré mais des choses intéressantes et importantes s’expriment lors de ces Nuits Debout sur le sens du travail, sur un revenu universel, sur l’autonomie alimentaire et l’agriculture urbaine, sur la culture et l’action sociale qui tentent de faire du lien avec des actions de terrain. La société civile s’organise.
Le rassemblement à Rennes, comme ailleurs, de centaines de jeunes gens et de moins jeunes, qui souhaitent débattre d’un nouveau modèle de société, est donc une bonne nouvelle. Alors que notre 5ème République est à bout de souffle et que notre démocratie est affaiblie par un modèle économique et social libéral délétère, alors que les scandales des Panama Papers, LuxLeaks, le traité TAFTA n’ont fait que creuser encore un peu plus la défiance des citoyens vis à vis du système économique et politique, nous ne pouvons que nous réjouir de voir ces mobilisations citoyennes émerger et les considérer avec intérêt et bienveillance.
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