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Après la fusillade du Blosne : notre réflexion autour de la drogue 

Discours des élu·e·s écologistes et citoyen·ne·s prononcé par Valérie Faucheux lors du conseil municipal du 15 mars 2024

Le mois dernier, des habitantes et habitants du Blosne ont subi en bas de chez eux une très longue fusillade. Plusieurs résidents ont trouvé des résidus de balle dans leurs appartements. Cette escalade de violence suscite une vive inquiétude. Nous saluons le travail des forces de police et de l’ensemble des professionnels sur le terrain. Leur présence a été renforcée pour permettre aux habitants de se sentir plus en sécurité et rassurés. Nous tenons également à exprimer notre reconnaissance envers l’ensemble des agents qui interviennent sur les espaces publics impactés par le trafic, non sans difficulté, afin qu’aucun quartier ne soit délaissé.

Dès le lendemain de la fusillade, des élus et des agents de la Ville, ont été à la rencontre des habitants et de l’ensemble des personnes touchées sur le terrain, pour les écouter et leur dire tout notre soutien. Une cellule d’écoute psychologique a été mise en place. Notre municipalité suit quotidiennement la situation, de très près, avec diverses cellules de crise. Toutes les mesures nécessaires sont prises au plus vite en coopération avec l’État.

Ce grave événement au Blosne s’inscrit dans un contexte national marqué par une très inquiétante explosion du trafic de drogues ces dernières années, dans toutes les villes françaises, quelle que soit leur taille. En 12 ans, on a compté + 525 % de saisies de cocaïne sur le territoire. Entre 2022 et 2023, le nombre d’homicides ou tentatives d’homicide entre malfaiteurs liés aux narcotrafics a doublé. Si Rennes n’en est pas encore au stade d’autres grandes villes françaises, un palier a été franchi ces dernières années dans le niveau de violence lié au trafic, avec notamment le double meurtre au Gros-Chêne en mars 2023, un mort à Cleunay en mars 2021 et de graves fusillades ayant fait plusieurs blessés par balle.

Face à ce véritable fléau, qui empoisonne la vie des habitantes et habitants dans nos quartiers, mais aussi de celles et ceux piégés dans le trafic, ainsi que de leur famille, il nous faut agir de façon déterminée et coordonnée. Pour nous écologistes et citoyens, le trafic de drogue ne peut se résumer à l’enjeu sécuritaire et répressif. Il s’agit d’une problématique à la croisée de plusieurs enjeux cruciaux qu’il faut traiter de concerts : non seulement la tranquillité des habitants, mais aussi et surtout la santé publique, l’éducation, l’insertion et l’emploi, l’aménagement urbain ou encore la lutte contre la pauvreté et les discriminations. Il n’y a pas une seule solution miracle, mais bien un faisceau d’actions à mettre en œuvre à l’échelle locale, nationale et européenne, nécessitant une approche globale et coordonnée avec la justice, la police, la communauté éducative, les habitants, les associations et les professionnels.

Sur la sécurité, en tant qu’élus locaux, au regard du contexte actuel, nous assumons qu’il faille davantage de policiers sur le terrain, qui interviennent dans les situations de crise mais aussi une police de proximité qui apaise les tensions et qui renoue le dialogue avec les habitants, notamment les jeunes des quartiers. Il faut plus de moyens pour la justice et les forces de police spécialisées, pour démanteler les trafics et les réseaux de blanchiment à l’échelle nationale et européenne. 

Une police qui coopère mieux avec les travailleurs sociaux. Ces derniers font un formidable travail qui mérite d’être mieux considéré. Depuis le début du mandat, nous avons cherché à renforcer la présence humaine et bienveillante sur l’espace public, en augmentant les effectifs de la Police municipale mais aussi les moyens en faveur de la médiation (les médiateurs à l’école, dans les quartiers, de jour, de nuit) mais ce n’est pas encore suffisant. L’État doit agir aussi de ce côté et nous aider à renforcer les moyens nécessaires pour embaucher massivement des médiateurs et des éducateurs. Pour assurer la tranquillité des quartiers, la meilleure approche est de s’appuyer sur les forces vives qui agissent en première ligne. Il faut davantage écouter la parole des habitants et leurs demandes, les impliquer dans l’élaboration de solutions efficaces.

Nous l’avons dit, la drogue relève aussi d’une problématique de santé publique. Les chiffres de dégradation de la santé mentale en France sont préoccupants. À la culpabilisation des consommateurs, nous pensons qu’il est préférable de privilégier une approche qui tienne compte des problématiques d’addiction et de santé mentale, qui nécessitent que l’État y consacre des moyens à la hauteur de l’enjeu. À ce titre, l’exemple du Portugal est inspirant : la dépénalisation de la consommation s’est accompagnée d’une obligation de consultation de médecins et assistants sociaux, ce qui a permis de baisser le nombre de consommateurs.

Nous sommes aussi de plus en plus confrontés à des problèmes d’errance et de consommation sur l’espace public. Pour cela, notre ville soutient des équipes mobiles et des lieux d’accueil qui font un travail formidable pour accompagner ces personnes en grande difficulté, en leur trouvant un logement, en leur prodiguant des soins, en les accompagnant humainement et socialement pour les aider à se sortir de la rue, des trafics, des addictions.

Sur le volet éducatif, nous ne cachons pas notre inquiétude grandissante pour les jeunes, qui se font entraîner dans la consommation ou le trafic dès le plus jeune âge. Il nous faut intervenir dès le plus jeune âge, dans les écoles, auprès des élèves et de leurs parents pour faire de la prévention, et venir en aide à ceux qui sont piégés dans les trafics. La coopération, sous l’égide de l’Éducation nationale entre les enseignants, les parents et l’ensemble de la communauté éducative est cruciale pour soutenir les jeunes qui décrochent et les aider à réussir. C’est avec eux que nous pourrons améliorer la continuité de l’éducation entre l’école et le périscolaire ou à la maison. 

Au-delà de l’éducation, la drogue est aussi une problématique profondément sociale. Le trafic se nourrit directement de la pauvreté, de la misère, du chômage et des discriminations, qui malheureusement, en l’absence d’un réel cap politique en la matière, ne font que gagner du terrain dans notre pays. La politique gouvernementale participe de la stigmatisation des habitants des quartiers populaires, elle organise la casse sociale et le détricotage de nos services publics. Si on veut empêcher les personnes de tomber dans le trafic de drogues, il faut leur garantir les conditions d’un avenir prospère. Face à cela, notre collectivité s’efforce d’agir, en augmentant fortement les moyens de nos services publics de proximité comme ceux du CCAS.

Aussi, nous devons chercher des solutions nouvelles pour améliorer l’insertion des jeunes dans le monde du travail, d’une part, en luttant contre les discriminations dans l’orientation scolaire, dans la formation, dans  l’emploi, d’autre part, en facilitant l’accès aux stages, et, en encourageant l’entrepreneuriat ainsi que  l’installation d’activités économiques au cœur de nos quartiers. Le soutien aux initiatives culturelles est aussi un levier d’émancipation et d’insertion. Le dynamisme des cultures dites urbaines, héritières de 50 ans de mouvement Hip Hop à la fois fédérateur et vecteur d’emplois, témoigne de la puissante créativité d’une jeunesse lorsqu’elle est valorisée et soutenue.

Si nous sommes lucides sur cette problématique dans les quartiers affectés par le trafic de drogue, nous voulons également veiller à valoriser tout ce qu’il s’y passe de très positif. Nous pensons à l’action des habitants, des bailleurs sociaux, des associations, des médiateurs, des éducateurs. Ils participent, jour et nuit, par leur engagement quotidien, à faire vivre leur quartier, à lui donner une autre image, à occuper les espaces publics et les bas de tour de manière positive, pour ne laisser aucun endroit à l’abandon. Dans cet esprit, nous voterons tout à l’heure près d’un demi million d’euros pour le réaménagement de 3 pieds de tour, avec des locaux associatifs, sur le quartier du Gros Chêne à Maurepas.

Des leviers législatifs sont à mobiliser dans la lutte contre les trafics. Les écologistes militent depuis des décennies, par pragmatisme, pour un cadre législatif plus efficace, qui passerait notamment par la création de salles de soins et la légalisation du cannabis. Et nous ne sommes pas les seuls. En 2021, une étude de l’Inserm, commandée par le gouvernement, a conclu aux effets positifs des salles de consommation à moindre risque de Paris et Strasbourg. Les représentants de l’Etat ont validé l’ouverture d’une halte soins addictions (HSA) à Marseille, décision sur laquelle ils sont revenus en janvier dernier, à notre grand étonnement.

Aussi, suite à la récente légalisation du cannabis en Allemagne, la maire de Strasbourg a proposé une expérimentation locale. Cela fait maintenant trois ans qu’une mission parlementaire transpartisane a rendu un rapport très favorable à la légalisation du cannabis. Il est grand temps que le gouvernement regarde les choses en face sans dogme. Nous sommes tout à fait conscients que la légalisation du cannabis ne réglera pas tout, notamment en raison d’une forte progression de l’usage des drogues dites dures. Mais force est de constater que les résultats de la politique très répressive de la France ne sont pas satisfaisants. 

Alors que de nombreux pays ont compris la nécessité de faire évoluer la législation en matière de drogues, la France continue de s’isoler avec une politique répressive très coûteuse et inefficace qui n’endigue pas le trafic. Les opérations places nettes du gouvernement s’apparentent à de simples coups de communication qui ne s’attaquent pas aux têtes de réseau. Le gouvernement ferait mieux de miser sur celles et ceux qui font reculer la consommation et le trafic, dans la justice, la police, la médiation, l’éducation, la santé et le social, avec de la reconnaissance, des moyens et un cadre législatif à la hauteur des enjeux.

Seul le prononcé fait fois