Président du groupe écologiste et citoyen de Rennes Métropole |
|
Intervention de Morvan LE GENTIL au nom du groupe écologiste et citoyen
Monsieur le Président,Vous affinez ce soir les perspectives du « grand équipement » que vous proposez de laisser en héritage à notre métropole, sous la forme d’un dossier pour lequel il ne restera plus à la prochaine majorité qu’à « appuyer sur le bouton ». C’est bien aimable, mais nous ne sommes toujours pas convaincus… et s’il ne tenait qu’à nous, jamais nous n’appuierions sur ce bouton tant ce projet est un projet du passé, en totale déconnexion avec les priorités d’aujourd’hui.Si l’on résume l’étude d’opportunité, l’argumentation en faveur de ce projet tient en deux axes :
- Parce qu’il y a un marché
- Parce que les voisins en ont déjà un
Deux raisons parmi les plus mauvaises qu’on puisse invoquer pour un investissement public. Si le « marché » voulait faire tourner des spectacles de 20.000 personnes à Rennes, lui obéirions-nous aussi aveuglément ? Et si nos voisins se mettaient à développer des vagues de surf ou des montagnes de neige artificielle, suivrions-nous pareillement la mode à coups de millions publics ?
Quelle est objectivement la situation ? Nous disposons aujourd’hui de trois points d’ancrage complémentaires en matière de grandes jauges :
- En centre-ville, le combo Centre des Congrès + Liberté qui permet de gérer, en deux stations de métro, des évènements jusqu’à 5000 personnes, avec toute la qualité d’accueil et de desserte de l’hypercentre
- Au parc Expo, la salle MusikHALL qui accueille jusqu’à 7.000 personnes, dans un confort technique qui mériterait certes une véritable remise à niveau, mais pour un coût sans commune mesure avec les budgets dont nous parlons ce soir.
- À Cesson, la Glaz Arena, flambant neuve, et elle aussi dimensionnée au-delà de 4000 personnes.
Concernant les rencontres professionnelles, cela signifie que la plus-value de ce grand équipement restera « limitée » – c’est votre synthèse elle-même qui le dit. Sauf à vouloir créer une concurrence délétère entre les équipements, cela signifie que nous discutons ce soir, en réalité, quasi-exclusivement des spectacles entre 5000 et 8000 personnes dont les contraintes techniques sont incompatibles avec une remise à niveau du MusikHALL. Permettez-nous de penser qu’il s’agit là d’une niche marginale qui relève quand même – disons-le – du registre du luxe. À 70 millions, et probablement 80 lorsque le projet sortira (au vu des délais de gestation à prévoir, concours d’architecte et autres augmentations des coûts de construction…) c’est un luxe disproportionné.
Nous sommes tellement habitués ici à gérer des montants importants qu’on en oublie ce qu’ils signifient – à la limite de l’indécence parfois. On parle ici de l’équivalent de 400 € par ménage à consacrer à un équipement où la plupart ne mettront pas les pieds, ou alors 5 fois maximum dans une vie, pour des spectacles au tarif prohibitif (entre 40 et 70 euros par personne dans les zéniths voisins) ; tarif prohibitif justifié par la modernité de l’équipement alors que celui-ci sera financé par nos impôts – payé deux fois en quelques sortes, pour qu’une poignée d’artistes et de tourneurs richissimes confortent leurs marges.
Il y a un véritable problème avec ce modèle et nous devons l’interroger. Le monde du sport de haut niveau commence à le faire, avec des équipements de nouvelle génération qui sont financés par l’initiative privée, à l’étranger et récemment à Lyon, pour lesquels le positionnement de la collectivité se borne à être un facilitateur en matière d’aménagement, de desserte TC, de cohérence du projet urbain. Les « premiers de cordée » du grand spectacle, qui drainent déjà d’une majorité des ressources du secteur, doivent eux aussi engager cette transition et renoncer à asseoir leurs bénéfices sur les largesses de l’investissement public.
Nous ne sommes pas dans une telle situation d’abondance que nous puissions nous passer de ces dizaines de millions pour les autres politiques priorisées ensemble. En matière sportive, il y a nombre d’équipements de proximité dans nos communes qui mériteraient un bon rafraîchissement pour des budgets bien moindres que ceux exigés par ce zénith mais avec une utilité sociale bien plus forte. Si l’on s’en tient à la culture, il serait évidemment plus approprié de les dédier à la culture de proximité, celle des artistes du quotidien, celle qui implique les habitants et tisse du lien social dans les quartiers, plutôt que de faire le jeu des effets de mode factices.
Car autant préciser que cet équipement n’a rien à voir avec les besoins des acteurs locaux, grandes fédérations sportives ou acteurs culturels, qui n’en demandent pas tant.
Et dans d’autres domaines, ces sommes pourraient bien également nous être indispensables pour les investissements à venir liés à la mobilité – notamment le renforcement du train et le développement du tram-bus.
Car il faut élargir le propos. Nous l’avons dit tout à l’heure, nous sommes en situation d’urgence climatique. Cela a été répété à l’envie ces derniers mois et validé ici même. Qu’est ce qui est si difficile à comprendre dans cette notion ? Chacun de nous, face à une situation d’urgence, un accident ou que sais-je, imagine-t-il pouvoir continuer à vaquer comme si de rien n’était ?
L’urgence impose d’élaguer le superflu et au vu du paysage évoqué précédemment, sans ambiguïté ce projet est superflu.
Pire, à l’heure où nous incluons dans notre budget une réflexion sur les contributions PCAET de nos différents engagements : ce grand équipement aurait un impact négatif sur ce plan. Parce qu’il est clairement pensé pour le tout voiture évidemment, sans desserte en mode lourd de TC. Mais surtout parce qu’il s’agit encore et toujours de nourrir le rayonnement interplanétaire de notre métropole, et d’encourager ainsi, encore et toujours, une croissance démographique qui déjà, par son accélération, nous pose aujourd’hui des problèmes insolubles.
Hors urgence climatique, et avec un trésor inépuisable en guise de budget, il serait peut-être pertinent de réfléchir à la création de ce grand équipement. Dans la situation qui est la nôtre, et même si nous ne sommes pas les plus à plaindre, c’est une option qui n’est pas responsable. Le temps n’est plus aux caprices de riches justifiés par la seule course à l’échalote avec les voisins. Nous ne soutiendrons pas ce projet. |