Catégories
À la une Conseil municipal Matthieu Theurier

Quel modèle de développement de la ville voulons-nous ?

[Conseil municipal du 24 juin 2019]

Pour la deuxième fois depuis la mise en place de la charte de la démocratie locale, le droit d’interpellation a été activé. Au programme du débat : la question de la densité urbaine. Nous avons fait part de notre position sur le sujet, en affirmant que si la densification est bien nécessaire, elle doit se faire avec des formes urbaines compactes, une végétalisation renforcée, une modération de la place laissée à la voiture, une mixité sociale certaine.
 

 

Conseiller municipal

Co-président du groupe écologiste

Vice-président de Rennes Métropole en charge de l’ESS

 

Intervention de Matthieu THEURIER au nom des élu·e·s écologistes et citoyen·ne·s 

J’interviens au nom du Groupe écologiste et citoyen et de l’Union Démocratique Bretonne.

Je veux d’abord remercier les Rennaises et les Rennais qui se sont mobilisés pour engager la procédure d’interpellation du Conseil municipal qui nous amène à débattre du sujet de la densification de la ville ce soir. Nous sommes heureux que les outils de la charte, notamment le budget participatif ou le droit d’interpellation aient permis pendant ce mandat de rendre plus citoyenne l’action politique locale.

La question de la densité et de la cohérence des quartiers ne s’impose pas par hasard. Notre métropole et la Ville de Rennes en particulier connaissent une croissance démographique forte qui implique un rythme de construction de logements inégalé dans l’histoire de notre ville, avec plus de 2 500 logements en 2017.

Le rythme de transformation de notre ville n’a jamais été aussi soutenu et l’on voit les avenues et rues de Rennes changer radicalement de physionomie parfois en l’espace de quelques mois. Cela ne peut que légitimement interpeller, questionner, inquiéter.

La population de l’aire urbaine de Rennes augmente rapidement, avec une croissance deux fois plus rapide que la moyenne française. Ces tendances pourraient mener à une augmentation de 23 % de la population, soit + 160 000 habitants à l’horizon 2030 et une métropole rennaise qui atteindrait les 500 000 habitants.

La croissance démographique est un fait incontestable. Face à cela, notre responsabilité, notre devoir, c’est bien de permettre à toutes et tous, qu’ils soient rennais ou non, pauvres ou riches de pouvoir se loger. Le logement est un droit inconditionnel qu’il nous faut garantir pour toutes et tous.

Produire des logements, c’est éviter le déséquilibre entre une offre publique concertée et une offre privée dans le diffus. Cela permet de lutter contre l’envolée des prix de l’immobilier. Prix déjà trop élevés. Et si leur évolution a été contenue ces dernières années et que nous avons évité à notre ville l’écueil de la gentrification, nous ne sommes jamais à l’abri des spéculations.

Nous affirmons donc qu’il y a une nécessité aujourd’hui à construire des logements pour répondre à la forte demande. Nous affirmons aussi que la croissance démographique que nous connaissons aujourd’hui est la conséquence de choix de développement, d’aménagement du territoire, qui concentrent les activités sur les pôles urbains. Ce choix, nous le contestons et affirmons que d’autres politiques sont possibles j’y reviendrai.

Pour faire face aux enjeux de la forte demande de logements d’aujourd’hui, il faut aussi redire qu’il n’y a pas que la production de logements qui permet de contenir les prix. Il y aussi des politiques de régulations des prix : le plafonnement des loyers que nous appelons de nos vœux, l’office foncier solidaire, politique foncière, loyer unique, logement social qui eux se mettent en œuvre. Et c’est bien l’ensemble de cette palette d’actions qu’il nous faut mobiliser pour garantir le droit au logement. La politique de l’offre n’est qu’une partie de la réponse, nous ne devons jamais l’oublier.

S’il nous faut répondre à un enjeu de solidarité : le droit au logement, il nous faut aussi répondre à un enjeu environnemental : la préservation des terres agricoles et naturelles qui nous oblige à être économe en foncier et même à viser le zéro consommation foncière. C’est là qu’intervient la notion de densité.

Alors là aussi, le choix est clair et évident, oui il faut densifier. D’ailleurs, personne ne le conteste, il y a un véritable consensus parmi les Rennais·e·s et les habitant·e·s de la métropole sur cette nécessité.

Les projets urbains qui sont contestés aujourd’hui ne sont d’ailleurs pas nécessairement des projets denses. Ce n’est pas la densité qui est refusée en tant que telle, mais plutôt les formes urbaines proposées et surtout le rythme d’évolution de la ville. Ce n’est pas la densité qui est contestée, ce qui fait problème aujourd’hui, c’est la crainte d’une croissance urbaine mal maîtrisée et peu qualitative. Et cette crainte est pleinement légitime.

Comment construire une ville dense qui reste la ville à taille humaine à laquelle les Rennaises et les Rennais, tout comme les écologistes, sont fortement attachés ? Comment faire pour que Rennes soit toujours plus reconnue à l’extérieur pour sa qualité de vie plutôt que pour sa tour Samsic ?

La réponse est dans les choix d’urbanisme.

Le sentiment de la densité, n’est pas toujours objectif. À l’inverse des idées reçues, c’est bien encore le Blosne qui est le quartier le moins dense de Rennes, quand le centre-ville est le plus dense. Il y a par contre plusieurs paramètres objectifs, travaillés par les urbanistes, qui sont à l’origine du sentiment de densités. J’en cite quelques uns.

– des paramètres architecturaux tout d’abord : la forme, le volume et la hauteur des bâtiments ; le rapport entre espace libre et espace construit ; l’homogénéité de l’architecture ;

– il y a des paramètres liés aux nuisances diverses : le bruit ; la pollution de l’air

– et puis il y a des éléments liés aux espaces publics : la densité du trafic automobile  par exemple ;

– il y a la mixité sociale aussi qui lorsqu’elle est présente fait baisser le sentiment de densité ;

– et enfin, il y a bien sûr la présence ou non d’espaces verts, d’espaces naturels, de végétation, d’eau… bref de nature en ville.

 

 

La densité est nécessaire, mais elle doit permettre d’augmenter la qualité de vie, et non de la dégrader. Pour cela, il faut des contreparties à la densification.

L’urbanisme que nous voulons, c’est un urbanisme intégré à son environnement, qui favorise des architectures mixtes, diverses et variées.

 

Tous les travaux scientifiques le démontrent, la grande hauteur ne fait pas la densité. C’est bien la mixité des formes urbaines et des fonctions qui le permet. Voilà pourquoi nous sommes opposés aux immeubles de grande hauteur, qui sont de plus très consommateurs d’énergie.

Non, un immeuble de 17 étages au Landry n’a aucun sens !

L’architecture monolithique et standardisée que connaît Rennes depuis les années 2000-2010 doit cesser. Nous rêvons qu’enfin s’invente une vraie architecture « à la rennaise » qui permette à notre ville d’être belle tout en se distinguant de ses voisines.

 

L’urbanisme que nous voulons c’est un urbanisme aussi qui laisse une place essentielle à la nature en ville. Et quand je dis nature en ville, je parle d’espaces verts, mais je parle aussi d’espaces naturels laissés tels quels sans volonté d’aménagement.

Préserver la nature c’est aussi admettre qu’il faut des espaces sans intervention, ou très peu, de l’homme. C’est un vrai manque aujourd’hui dans une ville comme la nôtre. Il nous faut mener une politique de friches, il nous faut aussi admettre que des interventions sur des espaces comme la Prévalaye peuvent simplement consister à une renaturation du site sans aménagement lourd.

Enfin, l’urbanisme que nous voulons, doit favoriser les solidarités et la convivialité. Il vise à recréer des centralités de quartier, des vies de village. Des espaces pour le loisir, des places pour les rencontres, des vitrines pour le commerce de proximité.

C’est aussi un urbanisme qui est fait par et pour les habitants. Il est temps que la Ville de Rennes, à l’instar de sa voisine nantaise, développe enfin une grande ambition pour l’habitat participatif.

Il existe bien des solutions pour construire une ville dense qui reste à taille humaine et engage sa transition écologique. Il nous faut les mettre en œuvre.

 

Au-delà du débat sur l’urbanisme, il est une autre question qu’il nous faut poser. Cette question est : quel modèle de développement de la ville voulons-nous ?

Au début des années 2010, les élu.e.s de Rennes et de Bretagne devaient faire un choix entre plusieurs scenarios de développement proposés par l’INSEE. À l’époque, les élu.e.s avaient choisi de retenir le scenario intitulé « Polarisation et renforcement des contrastes ».

Dans ce scénario, « l’attractivité inégale entre les territoires bretons en compétition profite davantage aux pôles les plus dynamiques. ». On y lit notamment que « le mouvement de polarisation accentue la densité de population. ». Rennes Métropole grandit toujours plus, le centre Bretagne se dépeuple toujours plus. Nous vivons bien aujourd’hui le résultat des choix politiques d’hier.

En tablant sur ce scenario, on justifie des investissements publics plus élevés sur le territoire de Rennes Métropole, on justifie des plans ambitieux pour les services, la construction de logement… qui créeront des emplois sur le territoire et attireront la population, avec l’aide en plus de beaucoup de communication. « Rennes accélère », « Passez à l’Ouest », la mission d’attractivité de Destination Rennes sont autant d’actions menées pour accélérer la croissance de notre métropole et tenir la course de la compétition qui fait désormais rage entre les territoires français.

D’autres choix étaient pourtant possibles au début des années 2010. Il y avait un autre scenario présenté par l’INSEE, celui du « partage ». Il imaginait que l’optimisation de l’offre régionale de transport atténue les effets distance à l’intérieur de la région et permet un développement plus homogène. « Les territoires moins attractifs au début des années 2000 bénéficient davantage de l’attractivité de la Bretagne et de la redistribution de la population à l’intérieur de la région. La pression foncière se diffuse également. […]. Cette simulation réduit les inégalités de peuplement. ».

Ce scénario du « partage », plus équilibré, n’avait pas été retenu. De notre point de vue, il est nécessaire, indispensable de le remettre à l’ordre du jour.

Un aménagement de la Bretagne plus solidaire et plus partagé c’est le meilleur moyen de mieux répartir l’installation des populations sur l’ensemble du territoire breton, mais aussi au sein de la Métropole.

C’est le meilleur moyen de ralentir un peu le rythme de transformation de notre ville, de pouvoir lever un peu le pied sur le rythme de construction et mettre ce temps à profit pour bâtir un projet de territoire pleinement partagé avec les habitants. Un projet de territoire sur lequel nous pourrons tous garder prise.

C’est aussi le meilleur moyen de construire sereinement une ville dense, mais qui reste à taille humaine, qui soit plus végétale et solidaire.

Le nouveau plan local d’urbanisme est un bon cadre qui permet de penser la transition écologique et solidaire de notre ville. Ce, cadre partagé ne prendra tous son sens que s’il sait tenir compte pleinement de la parole habitante qui s’exprime de plus en plus fortement aujourd’hui et qui nous invite à faire autrement.

Aussi, à l’image du mouvement des Slow cities, nous appelons à ce que Rennes sache aussi prendre le temps de son développement, pour une évolution, une transformation qui soit pleinement maîtrisée.

Car c’est bien aussi cela la transition écologique, savoir enfin prendre en compte le temps long pour un développement vraiment durable et solidaire.