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PCAET: La mobilisation climatique n’est pas un boulet mais une opportunité

[Conseil métropolitain du 4 avril 2019]

Le Plan Climat Air Énergie Territorial (PCAET) a été présenté en conseil métropolitain. Alors que les citoyen·ne·s du monde entier prennent conscience de l’urgence climatique et interpellent les institutions, nous avons rappelé que la lutte pour le climat est avant tout un engagement pour la santé de tou·te·s et un levier indispensable au vivre ensemble.

Président du groupe écologiste et citoyen de Rennes Métropole

Intervention de Morvan LE GENTIL au nom du groupe écologiste et citoyen

Merci Monsieur le Président, et merci à Jean Jouzel d’avoir si bien rappelé les enjeux climatiques et environnementaux, comme vous le faites depuis de nombreuses années maintenant.Ce moment mérite cette attention particulière, il mérite même je crois une forme de gravité. Nous sommes à un tournant historique comme un siècle n’en connait qu’une poignée. Et comme des milliers d’autres élus locaux nous avons la responsabilité ce soir de prendre ce tournant réel. Une responsabilité d’autant plus grande que c’est la seule alternative face à l’impasse qui nous menace. Une responsabilité historique, au sens où nos générations seront jugées par l’Histoire : impossible de nous défiler, ni de faire comme si nous ne savions pas, encore moins après les enseignements de notre invité.

Le 16 mars dernier la Marche Mondiale pour le climat a réuni 350 000 personnes en France. Plus de 6 000 ont défilé à Rennes, des familles, des jeunes, des gens qui parfois n’avaient pas manifesté depuis des années ; non pas contre un projet de loi ou pour une revendication catégorielle, mais unis par un espoir généreux, d’infléchir enfin la dérive d’un monde qui court à sa perte. L’exigence d’un avenir collectif, d’une planète vivable pour tous, au-delà des frontières et des clivages. Les écologistes se sont sentis moins seuls, d’un coup… comme si le désert dans lequel nous avons eu si souvent l’impression de prêcher, depuis 30 ans, avait brusquement refleuri.

D’ailleurs l’image du bourgeon est assez juste, car cette mobilisation a vraiment la jeunesse comme moteur. Et même les « encore plus jeunes », les enfants eux-mêmes, qui se construisent aujourd’hui avec une inquiétude latente, quant à l’effondrement qui se profile. Tous ici nous avons dans notre entourage des enfants, ou des petits enfants : il faut les écouter dans leurs discussions, à l’école, au lycée, à la fac, entre copains ou en famille, ils sont de plus en plus conscients et prêts au changement, beaucoup plus prêts que leurs ainés. Ils nous le font savoir tous les vendredis, dans ce mouvement de grève inédit pour défendre leur droit à grandir dans un monde préservé, juste et sain. Ils sont exigeants et ils ont raison.
Je voudrais redire ici les mots que Greta Thunberg, cette jeune Suédoise de 16 ans, a adressé à la COP 24 – et à nous indirectement – au nom de toute sa génération : « Nous sommes à court d’excuses et de temps. Nous sommes venus ici pour vous informer que le changement s’annonce, que cela vous plaise ou non. Tant que vous ne concentrerez pas vos efforts sur ce qui doit impérativement être fait, plutôt que sur ce qui est politiquement possible, il n’y a pas d’espoir. »

L’Europe, cette belle utopie, est sans doute l’un des cadres pertinents pour relever le défi. C’est pourquoi nous soutiendrons le vœu présenté ce soir, présenté d’ailleurs par les élu.e.s écologistes rennais en conseil municipal de Rennes en décembre dernier.
Ce projet de Pacte Finance Climat va indéniablement dans le bon sens et renforce l’idée d’un Green New Deal porté par les écologistes européens depuis plusieurs années, qui vise à démultiplier considérablement les investissements en faveur de la transition énergétique. L’Europe doit renouveler son récit, la conquête de la paix ne suffit plus à sa légitimité : la bataille contre le dérèglement climatique peut être la matrice d’une nouvelle fierté partagée, et un rempart contre les replis nationalistes.

Deux conditions à cela : l’efficacité de ce Pacte, c’est-à-dire sa capacité à passer des paroles aux actes et des actes aux résultats mesurables ; et sa dimension sociale, c’est-à-dire sa dynamique solidaire pour réduire les écarts entre les citoyens européens.

Cela me donne l’occasion de rappeler quelques fondamentaux. Car au bout du bout, finalement, quel est le risque de l’inaction environnementale et climatique ? Certes le climat se réchauffe, certes le pétrole arrive en bout de course, mais après tout la chaleur c’est plutôt agréable, et l’innovation technologique s’en trouve boostée… pourquoi s’affoler ?

La première raison est clairement sanitaire : nous l’avons vu avec le PPA, et encore en début de semaine, la situation actuelle génère une part grandissante de pathologies respiratoires, qui s’ajoute à la recrudescence des maladies infectieuses et aux menaces sur l’eau potable, de plus en plus prégnantes. On ne peut accepter la banalisation des résultats de pollution de l’air, mesurés cette semaine dans de nombreuses écoles françaises.

Mais l’enjeu est également social : parce que la destruction des écosystèmes pèsera toujours davantage sur les petits paysans, parce que les catastrophes naturelles et la sècheresse génèreront toujours plus de migrants climatiques, parce que le renchérissement du coût de l’énergie creuse un fossé dans nos sociétés, et plus globalement parce qu’en situation de crise les plus précaires seront toujours les premières victimes… nous devons rester hyper vigilants à ce que ces deux combats, celui de la justice sociale et celui du climat, ne soient jamais disjoints – et encore moins opposés.

La lutte pour le climat c’est avant tout un engagement pour la santé de tous, et un levier indispensable à la pérennité du contrat social et du « vivre ensemble », si malmenés par ailleurs.

Mais d’une certaine façon, même si le tableau paraît noir à bien des égards, nous avons aujourd’hui de la chance : la bataille des idées est sans doute gagnée, avec un large consensus international symbolisé par le GIEC, et une prise de conscience qui a passé un vrai cap ces derniers mois dans la société.

La bataille des outils elle-même est quasiment derrière nous : nous disposons aujourd’hui de scénarios crédibles, au premier rang desquels négaWatt, pour indiquer les chemins permettant de sortir de l’impasse. Des chemins techniquement éprouvés, mêlant à grande échelle sobriété, efficacité énergétique et production d’énergies renouvelables. Des scénarios validés par des ingénieurs et des économistes, des solutions à notre portée, même pas pour limiter la casse : pour sortir par le haut de ce défi. La mobilisation climatique n’est pas un boulet mais une opportunité, pour un territoire comme notre métropole, de se démarquer et de conserver son rôle de locomotive, avec en prime un fort effet levier sur l’emploi local.

Nous disposons donc, schématiquement, d’un diagnostic partagé et de la boite à outils ad hoc. Il ne nous reste qu’à franchir la dernière étape, celle des moyens. Nous approuverons d’autant plus ce vœu pour un pacte finance climat européen qu’il pose justement clairement la question des moyens pour remplir les objectifs de lutte contre les changements climatiques. Derrière le consensus sur la route à suivre, la question des moyens et de l’action est bien le cœur du débat. Ce que nous demandons à l’Union européenne ce soir, à savoir dégager des milliards pour la transition, nous devons aussi nous l’appliquer à nous-mêmes et repenser nos budgets locaux en faveur de la transition. C’est là où nous achoppons souvent, et c’est un peu normal car cela demande des choix drastiques, l’abandon de certaines priorités anciennes pour concentrer notre action sur « ce qui doit impérativement être fait » – souvenez-vous Greta Thunberg.

Nous l’avons déjà dit, c’est de notre point de vue le principal enjeu du débat sur le PCAET aujourd’hui. Car nous en partageons les constats, les grands objectifs. Nous pensons quand même que l’effort de réduction de 15 % en matière d’émissions de GES pour l’agriculture aurait pu être plus ambitieux car les agriculteurs doivent être associés plus quantitativement et qualitativement à la trajectoire pour envisager une stratégie alimentaire métropolitaine. Mais nous sommes globalement en accord avec la trajectoire affichée ici.
Cela dit, en matière climatique nous avons trop été échaudés par ces plans irréprochables, tirés au cordeau, suivis quelques années plus tard par des bilans expliquant pourquoi on était si loin d’atteindre les objectifs fixés. Division par 2 des GES, multiplication par 3 des ENR par rapport à 2010, le tout en à peine plus de 10 ans : il faut que chacun réalise que la marche est haute, qu’elle ne pourra être franchie qu’au prix d’une volonté sans faille, primant sur toute autre considération.

On ne juge pas un urbaniste d’après ses plans, et ses jolis visuels ensoleillés remplis d’arbres en fleurs. On le juge d’après la qualité de vie qui se déploie dans le réel, et les changements concrets que son projet provoque. Il en sera de même pour notre PCAET : seuls ses résultats tangibles parleront pour lui, avec cette double grille de l’efficacité et de la solidarité.

Comme nous avons pu déjà l’évoquer en avril dernier lors notre précédent débat, ce dernier pose des axes qui de devront souffrir d’aucun fléchissement :

La rénovation thermique des bâtiments fait clairement partie de ces priorités. Il nous semble que le virage est pris aujourd’hui, comme en témoigne la délibération Eco-Travaux de ce jour. Mais l‘essaimage au pavillonnaire individuel doit encore être notablement consolidé, les budgets afférents accrus, pour tenir nos objectifs. Et nos réalisations publiques doivent absolument être exemplaires sur ce plan, y compris dans le cadre du fond de concours mis en place en soutien des communes.

Les mobilités sont un autre terrain incontournable, et le PDU doit désormais nous permettre d’aller vite dans le déploiement d’innovations décarbonées. Même si nous redisons que sans un renforcement du train il manquera toujours un maillon essentiel. La Région n’est pas fermée au dialogue, c’est à nous de faire preuve d’initiative pour dessiner et financer des solutions de long terme.

Troisième axe, le développement des énergies renouvelables doit enfin cesser d’être le parent pauvre de nos politiques, caché derrière le petit doigt de nos réseaux de chaleur. Bien sûr que ces derniers doivent être développés, interconnectés, et même regroupés dans une régie publique commune à terme. Mais notre effort ne doit pas s’arrêter là. La SEM Energ’IV est un premier outil pour avancer, mais son volume financier reste limité, sans commune mesure avec nos enjeux et notre potentiel. Le temps n’est plus aux petits pas. Comme nous le faisons sur les mobilités avec InOut, nous pourrions davantage orienter notre politique économique vers les acteurs qui portent les mutations technologiques du bouquet énergétique de demain : solaire bien sûr, mais aussi biomasse, éolien… sans que cette alliance de la transition énergétique et des nouvelles technologies, formidable opportunité, ne nous exonère de rechercher avant tout un nouveau modèle de société plus sobre aussi sur le numérique.

Mais le PCAET ne concerne pas que quelques politiques publiques dédiées, l’habitat, les transports, l’énergie : il nous commande une approche globale nouvelle sur toutes nos politiques : le développement économique, qui peut servir le PCAET en privilégiant un écosystème favorable, peut aussi annihiler ces efforts s’il intervient sans discernement ni critères environnementaux. De même pour la communication, qui devrait de notre point de vue donner moins dans le « rayonnement » et les gadgets énergétivores, pour se consacrer davantage à la sensibilisation du grand public.

La pédagogie sera importante, car de façon générale une fois la ligne B achevée il nous faudra sans doute flécher, « marquer du sceau » comme le disait Jean Jouzel il y a un instant, la très grande majorité de nos investissements futurs sur ces objectifs de transition énergétique. Probablement au détriment d’une course aux grands équipements publics ou commerciaux (Arena), cette course d’un autre siècle. Il nous faudra expliquer ce virage aux métropolitains, et nous le ferons d’autant mieux que nous aurons mis en place les outils de programmation et de mesure des impacts carbone de nos politiques. C’est pourquoi nous réitérons ici notre proposition de travailler à un « budget carbone » qui permette de rendre lisible les contributions de nos différentes politiques au PCAET.

Cette lisibilité permettra en outre de renforcer le lien avec les mobilisations citoyennes : en effet un peu partout des initiatives fleurissent, souvent en marge des démarches pilotées par nos communes et la Métropole. Par défiance mutuelle parfois, mais surtout par méconnaissance. Or la puissance publique ne fera pas tout, toute seule, nous aurons besoin d’additionner les initiatives de chacun, habitants, associations, entreprises, pour atteindre les objectifs définis ce soir. Le rôle de nos collectivités n’est pas de les récupérer ni même de les piloter, mais plutôt de les susciter, de favoriser leur éclosion, d’accompagner leur gestation et leur mise en réseau. Une fonction d’animation un peu nouvelle pour nous, mais un facteur clé de réussite au regard de la tâche qui attend notre territoire.
De ce point de vue la gouvernance du Plan Climat constituera un enjeu essentiel : nous souhaitons qu’elle soit innovante et citoyenne, et sommes prêts à contribuer à sa mise en place.