Catégories
À la une Conseil municipal Valérie Faucheux

« Le barbare, c’est celui qui croit à la barbarie »

[Conseil municipal du 16 avril 2018]

Après une petite mise au point sur notre refus des panneaux de publicité numérique, notre intervention de politique générale de ce printemps 2018 a pointé du doigt la future loi asile immigration, cette loi inique qui remet en cause gravement le droit d’asile et de séjour des étrangers.

 

 

Conseillère municipale

 

Intervention de Valérie FAUCHEUX au nom des élu-e-s écologistes

 

Permettez-moi d’abord d’apporter une réponse à l’interpellation qui nous a été faite ce soir par l’association Paysages de France relative aux panneaux numériques qui envahissent depuis peu le centre-ville. Sans nous attarder sur la pollution lumineuse, sur la pollution visuelle que ces panneaux engendrent. Sans nous attarder non plus sur le fait que ces panneaux sont énergivores et consomment à eux seuls l’équivalent de plusieurs foyers, sans nous attarder sur le fait que si l’on considère l’ensemble du cycle de vie des panneaux, ils n’ont rien d’écologique. Nous voulons interpeller l’assemblée ce soir sur la confusion des messages que le tout récent partenariat avec Brut entretient. Que penser d’un message sur la politique de l’alimentation durable que nous menons avec ambition s’il est coincé entre une publicité pour un fast-food et une publicité pour de la bière ? Demain aurons-nous une vidéo sur le plan vélo coincé entre une publicité pour le dernier SUV à la mode et une publicité pour l’aéroport de Rennes ? L’instrumentalisation de ces panneaux à de pures fins commerciales ne peut que nous inviter à dénoncer cette opération de greenwashing. Nous avons ouvert la boîte de Pandore – ce sont trente panneaux aujourd’hui, mais soixante demain – et pourtant ce n’est pas faute d’avoir alerté à plusieurs reprises sur les dangers des écrans qui prennent de plus en plus de place. Il nous faut de toute urgence remettre à plat le règlement local de publicité de façon à bannir une fois pour toute la publicité de l’espace public.

 

Sans transition, c’est sur l’actualité législative que nous souhaitons attirer votre attention aujourd’hui.

Ce lundi 16 avril, à 16 heures a commencé l’examen en séance publique à l’Assemblée Nationale de la loi réformant le Code d’entrée et de séjour des étrangers, dite Loi Asile et immigration. Nous souhaitons utiliser notre droit à la parole ce soir, en soutien des associations des citoyen·ne·s et surtout des migrant·e·s qui se sont mobilisés à Rennes pour dénoncer le mur législatif érigé par le gouvernement Macron remettant en cause gravement le droit d’asile et de séjour des étrangers.

Comme l’a rappelé Jacques Toubon, défenseur des droits, ce nouveau projet de loi est le vingtième texte législatif censé résoudre « le problème migratoire ». Alors que de problème, il n’y a pas ! Comme le prouvent les études de l’INED et de l’INSEE, le nombre d’entrées et de sorties varie légèrement d’une année sur l’autre. Il ne s’apparente en rien à une vague migratoire sans précédent, comme on le prétend. En 2017, la France a reçu 100 000 demandes d’asiles soit  0,16 % du total de sa population.

Il n’y a donc pas de crise migratoire mais une crise de l’hospitalité. Toutes ces lois accumulées ne répondent pas à un problème puisque celui-ci est fantasmé. Au contraire, il répond à une opinion publique fabriquée de toutes pièces, que nos responsables politiques alimentent chaque jour.

 

 

Au nom d’une prétendue efficacité administrative, le projet de loi, en limitant les droits des demandeurs d’asile, contrevient au principe d’égalité et de liberté, fondements de la République française. Avec ces nouvelles dispositions, c’est en termes de réduction que les droits des migrants seront « traités ». De nouveaux temps s’imposeront à eux désormais :

90 jours après son arrivée pour un migrant pour déposer sa demande d’asile au lieu de 4 mois aujourd’hui. Désormais, c’est en 3 mois, que ces personnes qui viennent de fuir des situations parfois effroyables devront apprendre en quoi consiste le droit d’asile, les critères pris en compte, les démarches à entreprendre, les guichets auxquels s’adresser… tout en ayant à chercher un abri, de quoi se nourrir… dans un pays inconnu, sans forcément en connaître la langue.

15 jours pour faire son recours s’il est débouté, au lieu d’un mois. Comment organiser en si peu de temps sa défense, solliciter l’aide juridictionnelle, des soutiens, rencontrer un avocat, un interprète, alors qu’on ne parle pas toujours la langue, qu’on ne connaît pas ses droits, et que parfois on vit à la rue ! Je rappelle qu’en droit commun, tout justiciable a droit à 2 mois de recours.

48 heures pour contester une Obligation de Quitter le Territoire Français sans qu’aucune autre démarche ne soit possible. En effet, le débouté ne pourra plus déposer une autre demande de séjour une fois l’éloignement prononcé, y compris pour de graves problèmes de santé.

1 seconde pour comprendre : les dates d’audiences et ses conclusions pourront être notifiées par « tout moyen », c’est-à-dire par mel ou SMS. Or les exilé·e·s ont bien souvent un accès précaire à internet, changent souvent d’opérateur et donc de numéro de téléphone. On peut dès lors craindre qu’ils et elles ne reçoivent pas la convocation à un entretien, ou la demande de pièce complémentaire, ou la notification d’une décision. Ce qui les privera du droit d’exercer un recours. Quel justiciable français convoque-t-on par sms ? l’E-justice conduira à l’injustice !

Jusqu’à 90 jours en centre de rétention. Il faut rappeler qu’en 2002, la rétention maximale était de 12 jours et que la France est aujourd’hui le pays d’Europe qui enferme le plus (46 000 personnes « retenues » en 2016). Et à ce titre, notre pays a été condamné à 6 reprises par la Cour Européenne des droits de l’Homme pour traitements inhumains et dégradants. La migration n’est pas un délit. Et pourtant sous le mot pudique de rétention, on organise bel et bien l’enfermement, derrière des murs et des barbelés, de personnes coupables d’avoir voulu trouver une vie meilleure pour elles et leurs enfants.

De 1 à 5 ans : c’est la période de bannissement de l’espace Schengen. En effet, la loi prévoit la systématisation de l’interdiction de retour à toute personne ayant fait l’objet d’une OQTF.

6 mois au total pour la procédure (11 mois aujourd’hui) sans qu’aucune des structures qui y participent (PADA, OFRPA, CNDA) ne bénéficient d’aucun moyen humain, matériel et financier supplémentaire. C’est une justice expéditive qui se met en place dont le seul résultat sera de produire davantage de personnes sans papiers.

Des dizaines d’années, par la suite, de vie illégale sans le moindre espoir de régularisation se profilent pour celles et ceux qui auront à subir ce parcours au rabais. Clandestins, donc sans droit au logement, au travail.

Ils vont rejoindre la cohorte de celles et ceux que nous connaissons et qui sont pris en charge, sur nos territoires le plus souvent par des réseaux solidaires, associatifs mais aussi par les dispositifs publics. À Rennes, en décembre dernier selon le rapport de la direction régionale de la Fondation Abbé Pierre présenté ce lundi matin, près de 600 personnes ont bénéficié chaque soir de prise en charge dans le cadre de nuitées hôtelières, dont le tiers financé par le CCAS de la Ville de Rennes. Comment allons-nous pouvoir continuer alors que le nombre de débouté·e·s va augmenter et qu’ils ne seront plus éligibles aux dispositifs d’hébergement de l’État ? Devrons-nous, comme dans les centres d’hébergement d’urgence, lister, contrôler et dénoncer celles et ceux qui bénéficieront de notre hospitalité ? Devrons-nous alors rejeter les déboutés et voir des bidonvilles se créer comme dans d’autres villes en France ?

Ces 40 ans de politique migratoire basée sur le rejet n’ont contribué qu’à alimenter les exclusions, à emboliser l’hébergement d’urgence sans jamais réduire la xénophobie. Leur inefficacité ne fait que prouver l’impuissance politique alimentant de facto l’extrême-droite.

Dans ce nouveau monde qui ressemble étrangement à l’ancien, Macron et Collomb érigent l’efficacité administrative comme principe de gouvernement au détriment d’une justice démocratique. L’État de droit devient le prétexte à l’augmentation des droits d’un État, toujours plus répressif.

Comme disait Claude Levi Strauss, « le barbare, c’est celui qui croit à la barbarie ».

Dans un monde qui est globalisé, nous croyons à l’interpénétration des cultures, à l’enrichissement mutuel que provoquent les rencontres. Parce que nous ne voulons pas croire en la barbarie, comme les 444 associations signataires des États Généraux des Migrations, les membres de notre groupe veulent rappeler aux députés que l’humanité de demain se construit par l’accueil des migrants aujourd’hui.

 

Enfin, nous ne pourrions pas conclure notre intervention de politique générale sans un mot sur la situation à Notre-Dame-des-Landes. Tout le monde connaît notre position sur le sujet. Aujourd’hui, après une semaine de confrontations, il faut à tout prix que la violence cesse sur ce territoire. Il faut ouvrir la voie du dialogue. Et accorder le temps nécessaire pour penser et organiser un avenir agricole durable du territoire.