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Catherine Phalippou Culture – Langues de Bretagne – Tourisme Ma vie d'élu·e

[Ma vie d’élue] Vernissage au centre pénitentiaire pour femmes

Le petit journal de Catherine Phalippou, pour tout savoir du quotidien de votre conseillère municipale déléguée aux Musées… Aujourd’hui, vernissage au centre pénitentiaire pour femmes et rencontre avec 10 créatrices.
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« Féminins/Singuliers », mardi 7 juin 2016, centre pénitentiaire pour femmes de Rennes.

citationHier, j’ai été en prison et j’ai rencontré dix créatrices.

Un accueil débonnaire nous a d’abord été réservé par l’agent en poste au contrôle d’identité, souriant, blagueur et ce, visiblement sans se forcer. Loin d’une « porte de prison », il leva une partie de mes appréhensions. Nous étions ce soir une petite dizaine à entrer pour un vernissage extra-ordinaire dans ce lieu qui n’a rien d’ordinaire, la prison pour femmes de Rennes.

Sas, portique de détection, encore sas et nous voilà en passant par le couloir qui longe le jardin intérieur de la prison dans la section d’accueil du centre de détention.

Là cinq portraits de détenues effectués par le peintre Yan Pei-Ming nous attendaient dans cinq cellules, cinq portraits édifiants entre quatre murs sans espace, et dans les cellules d’en face leur répondaient dix créations personnelles de détenues. Noble, élégant, très sensible, cet accrochage était saisissant.

L’accueil de Monsieur le Directeur Yves Bidet a été engageant, à la mesure du moment auquel les détenues se sont tant préparées. Elles avaient à nous montrer leurs œuvres, et ont vécu l’événement comme une réussite, un accomplissement. J’avais Ming en tête, j’ai rencontré des créatrices, toutes mes appréhensions sont tombées grâce à cet accueil et aux échanges francs et fins.

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L’initiative de cet atelier de création plastique revient à la Ligue de l’Enseignement de l’Ille-et-Vilaine à travers la personne d’Anne-Héloïse Botrel-Kerdreu. Elle a travaillé de concert avec l’artiste-plasticienne rennaise Emmanuelle Tonin. Accompagnée par Odile Hays et Marine Certain, médiatrices au service des publics de notre Musée des Beaux Arts, chaque détenue a suivi son rythme, et des éclosions ont été permises. Chaque œuvre dit de la féminité et de la singularité de sa créatrice.

Il y a 20 ans, en août 1996, l’artiste franco-chinois Yan Pei-Ming brossait cinq portraits de détenues rennaises à grands traits de noir ou plutôt gris sombre sur fond blanc.

Un an plus tard, le Musée des Beaux Arts de Rennes accueillait sur deux mois une exposition de ces œuvres que la prison avait inspirées à Ming. Cette exposition a circulé ensuite à Dole puis à Lons-le-Saulnier. Elle s’intitulait « La Prisonnière »… le titre était au singulier alors que les modèles étaient cinq femmes différentes. Nous pouvons retenir dès à présent ce singulier du titre.

Depuis, nous avons conservé au Musée ces portraits en dépôt de l’administration pénitentiaire. Et l’accrochage qu’en a décidé Anne Dary, Directrice du Musée des Beaux Arts de Rennes a été – je crois – la source d’une de mes émotions les plus intenses, les plus dérangeantes aussi qu’il m’ait été donné jusqu’ici de vivre dans notre Musée. Au fond d’une salle aux tons chauds, tapissée de vénérables œuvres du passé, trois grands profils de style contemporain s’imposaient, mastocs, durs, comme des gueules pesantes, étalées à coup rageur de brosse épaisse, noirs sur fond blanc.

Le style de Ming est désormais connu, l’artiste est reconnu. Il a peint des hommes historiques, son propre père et beaucoup d’anonymes dont nos cinq détenues il y a vingt ans : Jacqueline G., Mireille T.S., Marie-Noëlle C., Florence A. et Agnès A.. Ces portraits en noir et blanc sur leurs toiles démesurées semblent vouloir repousser des murs et pas seulement ceux d’une prison. Ils questionnent la personne, l’identité. Ces portraits, ironie de leur accrochage ici, aujourd’hui retournent en cellules, une cellule pour chacun. Individualisés autant que rassemblés.

Ces portraits bicolores sont le point de départ de l’exposition que nous inaugurons aujourd’hui,

… ces portraits

et le titre de Ming dont le singulier « La Prisonnière » est retourné, et qui devient deux pluriels. « Féminins/Singuliers ».

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Cinq détenues ont inspiré des toiles à un peintre et les toiles de ce peintre ont inspiré dix détenues. Non seulement la boucle est bouclée mais elle est féconde. Car femmes et singulières, les nouvelles artistes qui ont œuvré à partir d’elles-mêmes, à partir des deux tons du noir et du blanc se sont exprimées, ont dépassé de nouvelles limites en découvrant en elles des tonalités insoupçonnées au départ.