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Après Charlie

Matthieu THEURIER
Conseiller municipal
Vice-président de Rennes Métropole en charge de l’ESS et des éco-activités

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[Conseil municipal du 19 janvier 2015]
Premier conseil municipal après les attentats fascistes à Charlie Hebdo et dans le supermarché casher, nous nous devions de réaffirmer que la démocratie reste debout. Et que c’est une citoyenneté active, une éducation populaire et une économie réellement sociale et solidaire qui permettront à tous d’entrevoir un avenir moins sombre.
Intervention de Matthieu THEURIER 
Madame la Maire, Cher-e-s collègues,« J’ai un message pour celui qui nous a attaqué et pour ceux qui sont derrière tout ça : vous ne nous détruirez pas. Vous ne détruirez pas la démocratie et notre travail pour rendre le monde meilleur. »

« Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d’ouverture et de tolérance. »

« Nous ne devons pas renoncer à nos valeurs. Nous devons montrer que notre société ouverte peut faire face à cette épreuve. Que la meilleure réponse à la violence est encore plus de démocratie. Encore plus d’humanité. »

Ces mots, ce sont ceux du premier ministre norvégien après l’attaque d’Utoya et ses 70 morts, assassinés par un fanatique d’extrême droite. Ces mots résonnent aujourd’hui en France après le sanglant attentat à Charlie Hebdo et dans un magasin casher. Ces mots, ce message de paix et de tolérance, ont été repris dimanche 11 janvier par quatre millions de personnes en France, en Europe et à travers le monde.

La mort de 17 innocents, trois jours de violences et d’angoisse ont créé un traumatisme tel qu’ils ont fait l’effet d’un électrochoc. Dans ce moment de deuil, la beauté et la dignité de la mobilisation citoyenne a diffusé une énergie incroyable, une force apaisante, rassurante même. Dans cette période de crise sans cesse rappelée, nous pouvions craindre que le socle de valeurs qui fonde notre société se soit fissuré. 4 millions de français ont hurlé en silence qu’il n’en était rien. La liberté, et en premier lieu la liberté d’expression, l’égalité, la diversité, la solidarité et la tolérance sont profondément ancrées dans la société française et farouchement défendues par celles et celles qui la composent.

Après l’horreur des attaques terroristes, après l’incroyable élan populaire qui s’en est suivi, une question reste en suspens : que faire ?

Tout d’abord il nous faut trouver les bons mots pour définir la réalité des récents événements. Que ce soit au nom d’une fausse interprétation du Coran, de la Bible ou de la Torah ; que ce soit au nom des totalitarismes du XXe siècle ; quelles qu’en soient les raisons, condamner à mort des journalistes qui usent de leur liberté d’expression, cela s’appelle le fascisme. Condamner à mort des juifs parce qu’ils sont juifs, cela s’appelle le fascisme. Vouloir imposer par la violence un mode de pensée unique, cela s’appelle le fascisme. Les attentats que la France a connus sont des attentats fascistes. Ceux qui les ont perpétrés la semaine dernière usurpent leur foi pour imposer leur idéologie politique. Le fascisme fait son nid dans toutes les idéologies, tous les courants de pensée, toutes les religions. Il s’incarne dans le rejet de la démocratie et s’exprime autant dans l’horreur des attentats de Charlie Hebdo et du magasin casher que dans les 200 actes contre des mosquées qui s’en sont suivis.

La question qui est donc posée est « comment pouvons-nous combattre les idéologies fascistes, et ce, quelles que soient leurs formes ? ». Il ne s’agit en rien, comme certains aimeraient le faire croire, de savoir si nous assistons à une guerre de civilisations sur fond de guerre de religion. Ce n’est pas la laïcité qui a été menacée par les attentats, c’est la démocratie. C’est la démocratie que le peuple français a réhabilitée en marchant d’un seul pas le week-end dernier. L’enjeu maintenant est de prolonger ce sursaut citoyen, de le concrétiser par des actes, de le faire vivre sans le travestir.

Il nous faut éviter le piège des réponses toute faites et contre-productives. Face à des individus fanatisés, prêts à mourir pour leurs idées, poser la question du rétablissement de la peine de mort comme l’a fait Marine Le Pen est juste la démonstration que l’on n’a rien compris. Face à des attentats commis par de jeunes Français, nés en France, poser la question de la fermeture des frontières comme l’ont fait certains à droite et à l’extrême droite est simplement une minable tentative de récupération politique.

Un autre piège s’annonce également : celui de voir nos libertés publiques noyées sous un nouvel arsenal sécuritaire au prétexte de lutter contre le terrorisme. La réponse apportée par les États-Unis après le 11 Septembre, avec le Patriot Act, a mené à de nombreuses dérives qui ont mis en danger les droits et libertés des citoyens, jusqu’en Europe. Ne tombons pas dans cette dérive : on ne protège pas les droits humains en les reniant.

C’est en tarissant les sources du fascisme qu’on le combat. Agissons contre la stigmatisation et la discrimination. Stoppons cette spirale où l’échec annoncé de notre jeunesse se transforme pour tous en désespoir et pour quelques-uns en haine et en barbarie. Car la réalité des attentats que nous avons connus est qu’ils ont été commis par de petits délinquants, sans repère ni perspective et radicalisés par leur passage en prison. Leur violence est le résultat d’un parcours de vie désastreux. Interrogeons notre modèle social et économique, notre modèle éducatif, notre modèle de justice, notre modèle carcéral, qui constitue trop souvent une école de la récidive ou du banditisme. La prison n’est pas une solution, elle est le constat d’un échec et dans la majorité des cas elle ne fera qu’aggraver la situation des détenus. Nous reconnaissons ici le travail engagé par madame la Garde des sceaux Christiane Taubira à ce propos, mais ce travail est encore immense pour éviter que de petits délinquants ne deviennent les bras armés d’une idéologie de mort.

Nous, élu-e-s locaux, sommes concernés en premier lieu. Le mouvement citoyen d’ampleur au niveau national a trouvé un écho particulier à Rennes. Les habitants de notre ville se sont massivement mobilisés. Dimanche 11 janvier, c’étaient plus de 110 000 personnes qui ont affirmé leur besoin de liberté et de solidarité. Au niveau local, donc, il nous faut agir pour construire de nouvelles bases :

  • Participation des habitants à la vie de la cité, transparence des décisions politiques, plus que jamais nous réaffirmons que l’élu-e doit être citoyen et que le citoyen doit être l’acteur principal de la vie publique. La prochaine Charte de la démocratie locale sera sans aucun doute le point de départ d’un nouveau rapport entre le citoyen-ne et l’élu-e et vous avez raison Madame la Maire de solliciter la Fabrique citoyenne pour qu’elle se saisisse des nouvelles réponses qu’il nous faut apporter. Qu’elle devienne un outil d’éducation populaire, un espace d’expression, de construction pour tous ceux et celles qui ont baissé les bras et perdu l’habitude de prendre la parole. Tous ces invisibles qui ont renoncé à croire en l’action politique et pour lesquels il faut ouvrir de nouvelles perspectives.

 

  • Éducation, culture, économie et emploi sont des leviers sur lesquels il faut agir pour offrir un avenir à ceux qui pourraient être tentés par un radicalisme ou la violence politique. Chez nous, dans notre ville, des habitants restent dubitatifs devant les événements terribles qui ont secoué la France. Certains se demandent si les pouvoirs publics et les élus ne les ont pas laissés tomber. La détresse et le désespoir existent aussi à Rennes. Le dispositif national de réhabilitation urbaine ANRU donnait la possibilité d’insérer des clauses sociales qui permettaient de privilégier l’embauche des jeunes des quartiers pour ces grands travaux. Ça avait été le cas par exemple lors du chantier de la première ligne de métro. Ce dispositif a disparu et certains jeunes ne comprennent pas pourquoi ils n’iront pas travailler sur le chantier de la seconde ligne de métro. Il faut impérativement remédier à ce que certains considèrent comme une injustice. Les dispositifs nationaux doivent se mettre au diapason de la réalité des territoires. Heureusement, les dispositifs PNRU2 dont bénéficieront les quartiers de Maurepas et du Blosne permettront à nouveau ce travail d’insertion sociale en lien avec le développement local du territoire. On sait que la lutte contre la marginalisation et l’exclusion passe par la reconnaissance et le respect, pour chaque personne, de ses valeurs, ses croyances, sa langue, ses goûts et ses expressions artistiques, ses traditions et ses modes de vie, autant d’éléments qui constituent sa culture, autant d’éléments par lesquels il exprime son humanité et les significations qu’il donne à son existence et à son développement. Nous devons élever la diversité culturelle comme principe fondamental du vivre ensemble et de notre démocratie locale, au même titre que la liberté et l’égalité.

 

  • Le souci du développement local, du développement d’une économie plus sociale et plus solidaire sont l’une des clés pour déjouer les pièges qui nous sont tendus. Les grands chantiers de réhabilitation de nos quartiers, notre politique de développement économique, l’ensemble de nos politiques, doivent pleinement intégrer ces dimensions.

Il y a donc beaucoup de travail, beaucoup d’engagements pour que les espoirs, l’esprit du 11 janvier 2015 se traduisent dans la réalité. Être Charlie, ce n’est pas seulement l’affirmer, c’est désormais une tâche qui nous incombe à tous, élu-e-s et citoyens.