Mme La Maire,
Chèr-e-s collègues,
L’actualité bouleversante de ces derniers jours est venue ponctuer un été terrible, plein de torpeur et d’attentisme lors duquel des milliers de réfugiés se sont échoués sur les plages grecques. Depuis le début de l’année, 350 000 d’entre eux ont tenté de gagner l’Europe. Ce chiffre fait froid dans le dos.
Le sursaut citoyen et l’appel à la solidarité de plusieurs pays européens, l’Allemagne en tête, a un goût amer pour nombre d’observateurs, militants et associations qui accompagnent les migrants et dénoncent inlassablement le sort réservé à ceux qui tentent de fuir leur pays dans l’indifférence quasi généralisée.
Ce sursaut arrive en effet bien tardivement pour nombre de réfugiés décédés ces derniers mois, ces dernières années, à fond de cale en méditerranée ou entassés au fond d’un camion.
Cet élan, qui reste fragile, refusé par la Hongrie et l’Angleterre notamment, doit être investi par les associations et les partis politiques afin qu’il ne demeure pas qu’un feu de paille. Mais aussi afin qu’il soit l’occasion de réviser notre politique d’accueil des migrants, tant au niveau européen qu’au national.
Car comme l’ONU le précise, la création de voies d’accès officielles à l’Europe, est le meilleur moyen de réduire le nombre de personnes risquant leur vie, et de contrer la violence du trafic d’êtres humains. Sans l’organisation de filières légales, cet appel à la solidarité européen pourrait bien, paradoxalement, faire le jeu des passeurs.
En France, l’annonce par le Président et le premier secrétaire du PS de la création d’un réseau de Villes solidaires est une bonne nouvelle. Nous nous en réjouissons.
Ce que d’aucuns dénoncent comme une réaction émotionnelle nous apparaît au contraire comme une démarche qui réintroduit de l’humain dans ce qui paraissait jusqu’alors uniquement gouverné par la peur du FN d’un côté et l’impératif austéritaire de l’autre.
En France il nous faudra aussi mettre en cohérence notre politique d’accueil à cette nouvelle ambition.
Aujourd’hui, le Président de la République a annoncé vouloir accueillir 24 000 réfugiés. Cela reste bien modeste au regard du devoir de solidarité qui doit être celui d’un pays comme le nôtre, sixième puissance mondiale, quand l’Allemagne s’organise déjà et a déclaré pouvoir en accueillir près de 600 000. Le nombre de réfugiés syriens, pour ne parler que de ceux-là, se monte à 10 millions. La Turquie en accueille déjà 2 millions à elle seule !
Pour mémoire, la France a accueilli plus de 500 000 réfugiés pendant la guerre d’Espagne et plus de 120 000 boat-people à la fin des années 70.
Le dernier rapport en date de l’observatoire des migrations est d’ailleurs accablant : la France est le pays d’Europe où l’on enferme le plus et où l’on accueille, jusqu’à aujourd’hui, le moins de migrants.
Quant au projet de loi voté au Parlement cet été, sur l’accueil des migrants, loin de réformer réellement le droit d’asile, il conforte l’enfermement au CRA des migrants, enfants inclus, et accélère les reconduites à la frontière selon des délais rendant l’examen des dossiers de chacun juste impossible. Aujourd’hui le sort réservé à celles et ceux qui entrent en Europe avec les moyens du bord, soit sans titre de séjour, mais qui forment le gros de tous les migrants fuyant leur pays actuellement, permet à la France de rejeter à ses frontières les trois quarts de ceux qui viennent demander asile.
Avec de telles mesures, la politique d’asile en France a-t-elle encore un sens ?
Gageons qu’avec un système si répressif à l’égard des migrants, les Syriens comme les autres ne préfèrent rester en Allemagne ou dans des pays plus généreux.
Nous voudrions dire aussi à quel point la montée de l’extrême droite n’est corrélée en rien par une présence plus ou moins forte des migrants sur notre territoire. La paupérisation des populations déjà fragiles, l’accroissement des inégalités, le chômage, cela oui, cela joue en faveur de Mme Le Pen.
Le discours médiatique et politique contribue aussi pour beaucoup au racisme et à la xénophobie ambiants. L’annonce « d’invasions de migrants » cet été dans le tunnel de la Manche, entendue sur les chaînes d’info continue, comme sur les radios du service public, le fameux argument de l’appel d’air, relayé à droite comme à gauche, de Manuel Valls à Nicolas Sarkozy, qui voudrait qu’un migrant en cache dix autres, la stigmatisation des Roms et des étrangers en général, ainsi que les discours nationalistes qu’on nous sert sur le modèle français qu’il nous faudrait défendre envers et contre tous, contre les étrangers mais aussi contre l’Europe.
Ne nous étonnons pas alors après des sondages où 56 % des français se déclarent soi-disant contre l’accueil des réfugiés, que le réflexe de peur et de repli l’emportent.
Mais les sondages, vous savez…ne résument pas les individus, fort heureusement.
À Rennes, nous ne pouvons que nous réjouir de la participation de notre ville au réseau des villes solidaires.
Rennes a déjà su faire preuve d’initiative par la création du dispositif COORUS, initié par notre Maire à l’époque.
Mais aujourd’hui, avec l’entrée de l’État dans le dispositif COORUS, les conditions d’accès se durcissent. Une quarantaine de personnes vont incessamment en être « débarquées ». Il est normal de vouloir donner la priorité aux primo-arrivants demandeurs d’asile. Mais à condition que ceux qui étaient dans COORUS précédemment aient pu intégrer le droit commun. Et de cela il n’en est rien. Des réfugiés mongols et géorgiens, malades et juridiquement non expulsables, seront-ils à nouveau condamnés à retourner à la rue prochainement ?
Quant aux migrants somaliens, expulsés d’un squat à Thorigné, installés en désespoir de cause dans un campement cet été aux Gayeulles et dont la Ville a demandé l’expulsion, ont-ils moins de valeur que les réfugiés syriens qui, nous l’espérons, vont pouvoir être accueillis dans notre ville ? Pour l’instant, la Préfecture ne leur a proposé que des solutions de logements extrêmement provisoires – pour un retour à la rue ensuite ?
Ils sont les symboles d’un système ne reconnaissant le statut de demandeurs d’asile qu’à 2 % de ceux qui en font la demande et qui laisse tous les autres dans une zone de non-droit, un entre-deux, qui les force à errer d’un squat à l’autre jusqu’à ce que leur statut soit enfin reconnu. Car s’il est loin maintenant le temps de la solidarité en France avec la Somalie, l’Érythrée ou le Soudan des années 90, la situation politique, économique et climatique dans ces pays ne s’est guère améliorée.
Mais au-delà de ceux qu’on appelle les réfugiés, les écologistes, ici et en Europe plaident depuis toujours pour une politique migratoire humaniste et moderne qui tienne enfin compte de la réalité des faits. La vision commode qui tend à opposer réfugiés politiques et migrants économiques, nous les écologistes nous disons que cette vision du monde est dépassée. Les causes des flux migratoires sont multiples et interdépendantes : dérèglement climatique, épuisement des ressources, conflits sont autant de drames qui s’alimentent les uns les autres.
En tant que citoyens européens, nous reconnaissons notre part dans le chaos du monde. En tant qu’élus responsables, il nous faut pendre la mesure de ce qui est en train de se jouer à nos frontières.
Et si la Ville n’est pas responsable, administrativement, de l’hébergement de ces migrants, si elle ne peut pas toujours palier les défaillances de l’État, on ne peut pas pour autant laisser les associations se démener avec la seule énergie de leurs bénévoles.
Quant aux procédures judiciaires systématiques engagées par la ville de Rennes lors d’occupations de l’espace public, elles ne font que fragiliser les dynamiques communes.
Nous souhaitons que l’élan de solidarité actuel soit l’occasion de renforcer le travail avec les associations et avec les communes de la Métropole, selon le souhait d’Emmanuel Couet. À Rennes, en 2015, cette volonté politique commune nous a déjà permis de mettre à l’abri des familles avec enfants, ce dont il nous faut être fiers. Mais les autres, tous les autres, méritent aussi notre considération.
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